C'est une pure. Et une dure. D'ailleurs, toute pureté est dure aux yeux des autres, car elle n'admet aucun compromis dans un monde de compromission. Mme Louisette Ighilahriz a cette pureté des vraies héroïnes, parures des femmes algériennes. Si on voudrait s'interroger sur l'identité algérienne, pensons à Mmes Louisette Ighilahriz, Hassiba Ben Bouali, Djamila Boupacha et leurs autres sœurs combattantes, on aura la réponse. Elles sont algériennes, descendantes en droite ligne des pics les plus majestueux et des plaines les plus fécondes, des rivières aux eaux les plus pures et du Sahara au sable scintillant. Elles sont algériennes. Al-gé-ri-enne, voilà tout. À quoi bon ajouter une autre identité qui n'est point née avec cette terre. Même si je connais furtivement Mme Louisette, au détour de quelques ventes-dédicaces, je n'ai vraiment pris toute sa dimension qu'en lisant sa passionnante autobiographie de combattante : algérienne. Dès le préambule, elle annonce sa couleur. Celle de la gratitude. Et de la reconnaissance. Même pour ceux qui sont dans le camp d'en face quand ils font montre d'humanisme. C'est ainsi que sous l'implacable soleil du mois de septembre 2000, elle s'en va en pèlerinage dans un cimetière du Midi, non loin de Marseille. Elle cherche, cherche, ruisselante de sueur, puis s'arrête à une tombe, le cœur battant et les yeux pleins de larmes. Elle lit les lettres gravées : “Francis Richaud, 1917-1997” Elle s'écrie en pleurs : “Il est là mon sauveur !” Ce médecin militaire qui l'a arraché des mains des bourreaux qui la torturaient pour la transférer dans une prison, elle ne l'a jamais oublié. Son seul regret, c'est ne plus l'avoir revu pour lui manifester sa gratitude. Le lendemain, elle reviendra pour poser près de sa tombe un petit rectangle de laiton avec ces mots : “Où que tu sois, tu seras toujours parmi nous. Louisette.” Ainsi est la grande combattante. Sans un gramme de haine. Elle ne mélange pas les torchons avec les serviettes : les tortionnaires avec les sauveurs parce qu'ils sont tous de la même origine. Lucide, elle est, formée à l'école d'un père aussi dure qu'intègre. Une école de courage et de militantisme à lui tout seul. Un exemple unique pour sa fille qui ne l'a jamais oublié. Belle, fière, à peine sortie de l'adolescence, la voilà au maquis luttant pour l'indépendance. Lors d'un accrochage avec les soldats, elle aura le corps troué. Convalescente, elle subira la torture sans desserrer les dents. Elle dira juste à son tortionnaire : “Si vous êtes un homme, achevez-moi !” Là où les guerriers les plus durs auraient flanchés, Mme Louisette restera debout, les dents serrés, ferme, courageuse et droite comme le lui a appris son père. La mort n'est rien, l'honneur est tout. Et l'honneur lui commandait de résister quoi qu'il lui en coûte. Elle craignait son père plus que les tortionnaires de la 10e division parachutiste cette moudjahida qui avoue que durant toute sa vie, son père n'a levé la main sur elle qu'une fois. Et pourquoi donc ? L'anecdote mérite d'être enseignée dans les écoles. Ayant bénéficiée d'une villa à l'Indépendance, elle en informa son père. D'une gifle, il mit fin à ce qu'il considérait comme un crime : “Tu as donc lutté dans le seul but de posséder une villa, c'est tout ? Et les enfants de martyrs ils vont habiter où, à ton avis ?” a-t-il hurlé. L'avenir lui a répondu : dans les cages à poules… Il était de fer et d'or cet homme qui a enfanté de l'acier inoxydable. Aujourd'hui à plus de 70 ans, elle marche en s'appuyant sur une canne. C'est le prix payé pour cette canne qui a permis à tous les enfants d'Algérie de marcher la tête haute, libres et indépendants. H. G. [email protected]