Il a évoqué son œuvre littéraire, sa conception de la littérature et de la critique africaine, ainsi que son rapport aux mots, à Baudelaire et aux auteurs algériens. Nimrod Bena Djangrang, dit Nimrod, a inauguré, avant-hier après-midi, à la salle Frantz-Fanon (Riadh El Feth), le cycle de rencontres littéraires, Dîwan Abdeltif, initié par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) qui consacre toute une saison aux auteurs Actes Sud. Cet écrivain tchadien, également et surtout poète, a évoqué, le temps d'une rencontre modérée par l'universitaire, auteure et poétesse, Yamilé Ghebalou-Haraoui, son œuvre littéraire, sa conception de la littérature et de la critique africaine, ainsi que son rapport aux mots, à Baudelaire et aux auteurs algériens. Nimrod a abordé le lectorat en Afrique et notamment au Tchad, en racontant une petite anecdote au Centre culturel français de Ndjamena, et l'engouement des lecteurs pour le roman, les Jambes d'Alice (Actes Sud, 2001). Il a, toutefois, signalé que la critique littéraire africaine est paresseuse. Il a même rapporté un échange avec quelques critiques : “On m'a dit Nimrod, ce livre on le lit d'une traite mais on ne sait pas comment en parler. Ça n'a aucun modèle en littérature africaine. Il n'y a pas de modèle. Alors j'ai dit que ce sont des choses qui me dépassent. Notre littérature est née du modèle des littératures européennes et si vous voulez des modèles, il faut toujours revenir aux littératures européennes. Cette question n'a aucun sens sinon pour justifier la paresse.” Il a également martelé : “Depuis les indépendances, depuis qu'il y a eu ce concept des littératures nationales, nous sommes très paresseux.” En effet, depuis que le “nous” a été remplacé par le “je”, il semblerait que la littérature ait beaucoup perdu de son intensité. Mais d'après Nimrod, “la littérature n'a de sens que d'être mondiale”, lui qui a signé, en 2007, le Manifeste des 44 écrivains pour la Littérature-Monde. Et d'ajouter : “Le front commun que nous avions servi, c'était une émulation formidable. Mais on s'est mesuré entre nous, et je crois que le degré a baissé d'un ton”, tout en défendant l'ambiguïté et la complexité de la littérature. La modératrice a souhaité avoir le point de vue de Nimrod à propos du fait qu'il faille pour un auteur du Sud de passer par la France pour être reconnu dans son pays. Paris et Beyrouth (pour les auteurs arabophones) sont effectivement des centres littéraires pour les auteurs de l'Afrique du Nord ou de l'Afrique subsaharienne. Nimrod a expliqué que tout était une question de commerce : “Ce genre d'injustice a existé de tout temps, et ce n'est pas en nous plaignant ou en accablant nos peuples que nous résoudrons le problème. Le problème c'est que nous confondons le droit, la justice, la morale avec le commerce quel qu'il soit : le commerce des idées, le commerce littéraire, le commerce tout court. Le commerce joue sur la puissance. C'est une question de rapport de force.” Il s'est également interrogé sur ce qui nous empêche d'être aussi dynamique en revenant au mouvement qu'il y avait dans les années 1970, où “Alger était une capitale pour presque tous les pays africains francophones. Si nous voulons encore le faire, ça circulerait parfaitement car il y a beaucoup de choses qui dépendent de notre organisation”. Nimrod, qui a procédé à une séance de dédicaces de ses romans à l'issue de la rencontre et qui s'est adonné au jeu des questions/réponses avec le public, a également dévoilé sa grande passion pour les poètes algériens, notamment Kateb Yacine, Mohamed Dib (compagnons du mouvement de la Négritude) et les poètes kabyles, tout en révélant qu'il avait écrit une anthologie de la poésie algérienne il y a quelques années, mais elle n'a pas encore été publiée.