Une manifestation réprimée à Benghazi, deuxième ville libyenne après Tripoli, s'est soldée par 14 blessés, dont 10 policiers, selon un quotidien proche de Seif el-Islam Kadhafi, fils du Guide, qui a qualifié les manifestants de saboteurs. Des sources hospitalières affirment que le nombre de blessés a atteint trente-huit. Les forces de l'ordre sont intervenues pour disperser un rassemblement de citoyens exigeant la libération d'un avocat, arrêté pour des raisons énigmatiques, et connu pour avoir défendu en 1996 les familles des détenus tués dans une fusillade à l'intérieur d'une prison à Tripoli. L'avocat en question, qui finira par être libéré sous la pression des familles qui manifestaient devant un poste de police, est connu aussi pour être très critique à l'égard du tout-puissant colonel Kadhafi. Cette manifestation intervient alors qu'un mouvement de mobilisation sur la toile pour manifester contre le régime du Guide et faire de ce 17 février une “journée de la colère”, selon les schémas déjà observés en Tunisie, en Egypte et à un degré moindre au Yémen, a été initié depuis quelques jours, dans la foulée des soulèvements populaires qu'ont connus les pays voisins. Le 17 février est une date anniversaire importante pour l'opposition libyenne, puisqu'à la même date, en 2006, 14 personnes ont été tuées par balle devant l'ambassade d'Italie à Tripoli, alors qu'elles manifestaient. La tension est montée en Libye au fur et à mesure que s'approchait la date fatidique. Le nombre d'internautes ayant rejoint les cyber-manifestants ne cesse d'augmenter ; il aurait dépassé le nombre de 10 000, dès hier matin. Le colonel Kadhafi a senti venir la menace, puisque dès le début de la semaine, à l'occasion d'un prêche à la nation retransmis en direct par la télévision d'Etat, il a invité les familles des victimes du 17 février 2006 à renouveler publiquement leur allégeance au Guide suprême de la Jamahiriya. Malgré la libération de leur leader, les manifestants, dont le nombre ne cessait de grandir mardi à Benghazi, sont restés sur place et ont scandé des slogans hostiles au régime, ce qui n'a pas manqué de provoquer l'intervention des forces de l'ordre et de répression. Peu après, des contre-manifestations ont été organisées à travers plusieurs villes du pays pour fustiger les opposants, qualifiés de traîtres, dénoncer la chaîne qatarie de télévision El-Djazira et clamer leur soutien au Guide. Ce dernier est au minimum inquiet par les évolutions enregistrées dans les pays voisins. Il s'est notamment illustré par son soutien à Ben Ali, y compris après qu'il eut pris la fuite, avant de se raviser devant le constat que la situation était irréversible en Tunisie. De même, il était en contact téléphonique permanent avec Hosni Moubarak avant que celui-ci ne soit, à son tour, contraint à la démission. Il a notamment tenté de prévenir la révolte en prenant une série de dispositions sociales, notamment en rétablissant la subvention de l'Etat des produits alimentaires. Par ailleurs, et selon des sources dignes de foi, Leïla Benali serait désormais installée en Libye où elle entretiendrait d'excellentes relations avec l'un des fils de Kadhafi, et Ben Ali lui-même serait en train d'organiser sa venue prochaine. Si tel devait être le cas, les relations avec le peuple tunisien voisin se dégraderaient gravement et ajouteraient un élément supplémentaire de tension. En attendant la deuxième marche pour le changement, ce 19 février à Alger, et les manifestations prévues le lendemain au Maroc, c'est donc au régime libyen, sans doute le plus fermé de la région, de subir l'épreuve de la colère populaire.