Le premier Forum d'Alger, organisé par Liberté avec le cabinet Emergy comme partenaire, a choisi comme thème l'énergie et les convulsions que connaît ce secteur. La fracture entre pays du Nord, tant au plan du développement que du point de vue consommation énergétique, continuera à s'élargir. Le Conseil mondial de l'énergie souligne trois dimensions nécessaires à toute problématique de développement durable. La sécurité énergétique implique aussi bien la sécurité des approvisionnements destinés aux consommateurs que celle des débouchés pour les producteurs. Les laissés-pour-compte sont les pays du Sud qui continuent à utiliser le bois comme combustible, accélérant la déforestation de leur région. Les inégalités entre le Nord, riche et le Sud, pauvre, continuent à s'aggraver, malgré les beaux discours, selon le Dr Mourad Preure, Président du cabinet Emergy, puisque le taux de chômage des pays riches est de 8%, alors que celui des pays du Sud est de 20%, en moyenne, d'où les flux migratoires qui risquent de s'accentuer avec possibilité de diffusion des crises dans les pays du Maghreb et du Machrek. La crise libyenne prouve que le marché de l'énergie a tendance à réagir aux crises dans la région du Moyen-Orient. Cette région a vu une série de crises s'échelonner de 1947 à 1954, avec le renversement de Mossadegh, en Iran et la crise de Suez en 1956, pour culminer lors du premier choc pétrolier en 1973. Le Dr Preure s'interroge si on ne s'achemine pas vers un nouveau Yalta, un partage du monde axé sur les ressources en énergie. En tout cas, les ressources sont de plus en plus convoitées par le nouveau centre de gravité du monde qui s'est déplacé vers l'Asie et la Chine. Pour Ali Hached, conseiller principal et représentant du ministère de l'énergie et des Mines, “les tendances lourdes qui existent ne changeront pas de sitôt. La demande d'énergie ira croissante, même s'il reste à définir le mix énergétique, le pétrole et le gaz continueront à représenter l'essentiel de la consommation mondiale d'énergie durant les 30 prochaines années. La production Opep représente, bon an mal an, une moyenne de 25 à 30 mb/j depuis longtemps”. Au cours de cette rencontre, deux thèses s'affrontaient à fleurets mouchetés, confirmant l'impossibilité actuelle de réconcilier les intérêts des pays riches et des pays pauvres. Claude Mandy, ancien président de l'Institut français du pétrole et ancien DG de l'AIE, après avoir pris soin d'aviser les présents que ce “qu'il disait n'engageait que sa personne”, a affirmé que des tendances lourdes concernent le problème de changement climatique qui devront peser de plus en plus lourdement sur les politiques énergétiques mondiales. Si le centre du monde s'est déplacé vers l'Asie et la Chine, le pétrole Opec va être de plus en plus sollicité. “L'âge d'or du gaz est sans doute à venir, à condition que les prix ne soient pas excessifs.” Claude Mandy ajoute : “Si le scénario 450 ppm de l'AIE fait la part belle au gaz, la théorie du Peak Oil ne concerne que le pétrole brut conventionnel. Or, il existe d'autres ressources autres que le brut pour produire de l'énergie, même si elles sont plus chères à exploiter. Et il faudra y recourir puisque la croissance de la demande des produits pétroliers est inéluctable à cause de l'accroissement du parc automobile dans les pays hors OCDE. Le rôle de l'Opep va devenir prépondérant par rapport aux pays non-Opep tels que le Brésil, le Canada et le Kazakhstan.” Claude Mandy ne manquera pas de souligner que, selon lui, et les pays de l'OCDE, le prix du carburant pratiqué par l'Algérie est trop bas. M. Bouterfa, P-DG de Sonelgaz, souligne qu'“une partie de l'humanité ne dispose toujours pas d'électricité. à elle seule, l'UE représente 20% de la demande mondiale”. Plus loin, il ajoute que “l'Afrique, gros producteur d'uranium, ne dispose que de 2 centrales nucléaires en Afrique du Sud. La vente de matières premières ne rapporte pas grand-chose au continent noir qui doit pourtant en exporter de plus en plus pour produire de l'électricité. Or les équipements électriques ont triplé de prix entre 2006 et 2008. Peut-on s'attendre à un transfert de technologie du Nord vers le Sud et ne pas rester de simples importateurs ? En attendant, les pays du Sud n'arrivent pas à faire face à leur demande énergétique, actuellement de 0,5 t/habitant, pour qu'elle atteigne au moins 1 t/hab en 2030, alors qu'elle est de 20 t/hab aux USA et de 8 t/hab en Europe. Moins d'égoïsme est à souhaiter de la part des riches pour que les pays du Sud puissent accéder au développement. Si les énergies renouvelables représentent une partie de la réponse au problème énergétique, le cœur du problème demeure l'accès à l'électricité. Pour les pays du Sud, il s'agit non seulement d'accéder à la fabrication des équipements mais aussi au savoir-faire concernant leur fonctionnement. Et pour cela, les pays riches doivent se montrer plus généreux”, insiste M. Bouterfa, avant de conclure par une interrogation : “Il s'agit de savoir quel développement nous voulons : c'est en fonction de la réponse à cette question qu'on pourra se décider pour un modèle de consommation énergétique.” Et d'asséner : “Les empires coloniaux ont été remplacés par des empires technologiques qui s'installent progressivement sous nos yeux !” Le Dr Amor Khelif, professeur d'économie à la faculté d'Alger, abondant dans le même sens que le P-DG de Sonelgaz, affirme que les produits énergétiques coûteront de plus en plus cher à cause de la raréfaction des hydrocarbures conventionnels ou des coûts d'extraction de ressources non conventionnelles. Il rappellera que l'ONU, dans une publication de 2009, affirme qu'“au rythme actuel d'exploitation du gaz, nous allons vite arriver à la situation que connaît le pétrole”. Poursuivant dans la même problématique, il s'interroge : “Est-ce que l'ensemble des acteurs sont en mesure d'organiser une transition sans heurt, vers un nouveau modèle énergétique sécurisé dans ses deux aspects, l'approvisionnement du marché et l'assurance d'un juste prix pour les producteurs ? On devra choisir entre une transition chaotique et une transition concertée. L'Algérie n'est ni l'Arabie Saoudite question pétrole, ni la Russie pour ce qui est du gaz. Il faudra absolument que les gouvernants pensent à satisfaire le marché intérieur. Il faudra préparer le long terme et penser à sanctuariser les réserves de pétrole et de gaz, et au besoin, dans la Constitution pour en éviter la dilapidation.” Toujours selon le Dr Khelif, “il y a eu une régression dans la politique publique de l'énergie. Il faut soumettre l'exploitation des ressources énergétiques aux besoins de l'économie nationale, car ce lien a été brisé, et il y a désormais un découplage intégral entre l'exploitation des hydrocarbures et l'économie. On est loin de la philosophie des années 1980 où il était question de sécuriser, pour 40 ans, la demande intérieure !” M. Khelif rappelle qu'en mars 2009 déjà, la revue de la Creg (Commission de régulation de l'électricité et du gaz) tirait la sonnette d'alarme à propos de l'approvisionnement du marché national. “Il faut absolument que l'Algérie réajuste sa politique nationale énergétique, au besoin, en recourant au contrôle démocratique sur les ressources en hydrocarbures.” Mais la chose semble loin d'être aisée, puisque même le Conseil national de l'énergie a disparu dans l'indifférence générale.