Certainement pas le modeste chroniqueur que je suis. Loin s'en faut ! Il faut dire que la personne qui a décidé de l'appeler ainsi l'a fait non sans une certaine affection, voire une reconnaissance. La braise ardente du chaâbi, c'est ainsi que le nomme le Dr Rachid Messaoudi, a de quoi mettre le feu à toutes nos réminiscences. À plus forte raison lorsqu'il se singularise avec sa façon bien à lui de sortir le chaâbi des sentiers battus. Grâce à des arrangements musicaux particulièrement déroutants pour un puriste, il parvient toujours à la faveur d'une ritournelle bien inspirée à renouer avec la partition originelle à la grande satisfaction de mélomanes avertis. Déroutant et hors du commun, Amar Ezzahi l'est assurément, avait soutenu, au Café littéraire Mohamed Boudia, le Dr Rachid Messaoudi : “Avec Ezzahi, il faut se mettre à jour tant ce virtuose change de registre d'une représentation à une autre.” Pour l'invité de la Fondation Casbah, le magnifique interprète de Ya Dhif Allah se joue de la monotonie et de la rengaine. Puisant sa pratique artistique dans l'originalité, il fascine par sa façon bien à lui de nous restituer des fragments mélodiques de notre somptueux patrimoine. Il lui arrive même d'enflammer l'assistance surtout lorsqu'il donne de la voix à son inénarrable mandole et une sensation de fusion avec l'instrument lui tenant à cœur. Allergologue et pneumologue au long souffle, le Dr Rachid Messaoudi voue une passion quelque peu démesurée au maître: “Pour avoir suivi son parcours depuis les années 60, je puis affirmer qu'aucun chanteur chaâbi n'a étoffé un si grand répertoire. On peut dire qu'à chaque décennie, je découvre que Ezzahi se distille au fil du temps tant au niveau du style que dans la sélection des pièces poétiques qu'il aborde.” Chanteur hors norme à la personnalité imperturbable, il est doué d'une très grande sensibilité. Celle-là même qui lui permit d'adapter au répertoire du chaâbi une des pièces maîtresses de Ludwig van Beethoven. Loin d'être délibéré, ce choix nous renseigne merveilleusement bien sur les aptitudes d'un interprète du cru qui n'hésite pas à s'ouvrir sur le patrimoine universel pour enrichir esthétiquement son répertoire dont la filiation avec la musique savante algéroise n'est un secret pour personne. Tout comme le grand compositeur allemand dont l'œuvre s'inspire pleinement des formes classiques héritées de Haydn pour évoluer vers un préromantisme, Amar Ezzahi investit intelligemment le champ musical classique algérois pour mieux le mettre au diapason des aspirations populaires des médinas de ce merveilleux pays, où la Casbah éternelle trône par sa majesté, et inscrire le chaâbi dans l'universalité. Comme l'appelait de tous ses vœux cet autre enfant de la Casbah, je veux parler du militant et musicologue Bachir Hadj Ali. Avec une sensibilité à fleur de peau, la coqueluche des supporters du Mouloudia d'Alger et des milieux populaires algériens crée l'épopée. Ce qui n'est pas sans rappeler à mon bon souvenir mon ami Mohammed Souhil Dib surtout lorsqu'il écrit : “La sensibilité crée l'épopée. Les mots en sont les moyens. Il reste l'artisan : c'est le poète. Quand ce dernier s'en mêle, les accidents de l'histoire – que le chroniqueur réduit à de froids constats – prennent les contours des mythes et des actes légendaires.” S'il n'est pas l'auteur de la poésie qu'il interprète, cela ne l'empêche pas pour autant de la restituer avec élégance. Kyrielle de chants aux variations et au tempo improvisés le chaâbi s'apprécie, et c'est le Dr Rachid Messaoudi qui souligne, comme le jazz. Que de tendresse dans les inflexions de voix du maître, que de sensibilité à travers le ton qu'il y met. Il est de ceux, renchérit l'auteur de Le chaâbi dans la langue de Voltaire, dont le chant soulève la peau d'orange, réveille des émotions et fait perler les yeux de larmes de nostalgie… A. M. [email protected] أديب الشاعر 24-10-2011 19:54