Des heurts de la place Tahrir se sont propagés dans plusieurs villes d'Egypte, ces dernières 72 heures, faisant plus de trente morts rien qu'au Caire. Les manifestants, islamistes, libéraux et démocrates, craignent que l'armée ne rende pas le pouvoir après les élections, ils ont remis leur “Printemps” au goût du jour. Les affrontements avec les forces de l'ordre s'intensifient, faisant prendre à témoin les protestataires sur le fait que la police et l'armée n'ont pas changé, qu'elles ont maintenu intacts leurs réflexes et leurs activités répressives de l'ère de la dictature de Moubarak. Les manifestants réclament la fin du pouvoir militaire, à une semaine du premier scrutin législatif depuis la destitution de Hosni Moubarak. La place Tahrir et ses rues adjacentes, épicentre de la révolution des jeunes Egyptiens, exigeant un régime démocratique à même de prendre en charge leur avenir et surtout d'assurer leur dignité, sont redevenues l'enjeu. Comme en février, les protestataires y ont réinstallé leur logistique et leur hôpital de campagne. Forces de l'ordre et manifestants se la disputent violemment depuis vendredi. Une sorte de jeu du chat et de la souris, mais avec de violents affrontements et mort d'homme. Les policiers ont tiré de nombreuses grenades lacrymogènes, alors que des manifestants leur renvoyaient en criant : “Le peuple veut l'exécution du maréchal” Hussein Tantaoui, dirigeant de facto du pays. Des manifestants ont également défilé à El-Arich, dans le Sinaï et à Ismaïlia, sur le canal de Suez, à Alexandrie, à Suez ou à Qena. L'armée que le Printemps du Caire avait auréolée pour son poids dans l'éviction de Moubarak en février, en fait une posture tactique puisqu'il s'agissait de sacrifier le “raïs” pour ne pas être éclaboussée, est suspectée par les protestataires de mettre sous sa coupe ce qu'ils ont arraché de haute lutte et au prix de sacrifices, un demi-millier de morts et deux fois plus de blessés. L'armée au cœur du pouvoir depuis Nasser et sa révolution des jeunes colonels des années 1950, qui a gardé le pouvoir après la mise à l'écart de son chef suprême Moubarak, malgré un gouvernement de transition civil, veut en effet rester le maître du jeu dans l'Egypte post-dictature. D'abord, dans la nouvelle Constitution, elle entend se gérer elle-même en atomes libres, sans avoir à rendre des comptes au pouvoir politique, qui ne serait alors qu'un édifice de façade. Ensuite, elle veut, toujours dans le même objectif de s'aliéner le pouvoir post-Moubarak, garantir une place de gardien du temple, invoquant notamment de probables dérives islamistes, étant entendu que les élections seraient remportées par ces derniers. Dans ses calculs, l'armée ne serait parvenue qu'à fédérer contre elle les libéraux, les islamistes des Frères musulmans aux salafistes, les nassériens et les nationalistes arabes, les démocrates et les jeunes modernistes acteurs originels de la révolution du Nil. De fait, toute la société civile égyptienne a repris le chemin de la révolte pour refuser aux militaires leurs manœuvres pour garder les privilèges des régimes anciens. Les Coptes aussi sont de la protestation, eux qui avaient déjà rompu avec l'armée le mois dernier, lorsqu'une manifestation a tourné au carnage au Caire. Ces démonstrations de force visaient à réclamer notamment le retrait d'une déclaration constitutionnelle présentée par le gouvernement, qui exemptait en particulier le budget de l'armée de tout contrôle parlementaire. L'armée s'est engagée à rendre le pouvoir aux civils après l'élection d'un nouveau président. La date de la présidentielle qui doit suivre les législatives n'est toutefois pas encore connue, ce qui suscite de nombreuses craintes de voir les militaires s'accrocher au pouvoir. Ces troubles ont relancé les craintes que les législatives, qui doivent débuter le 28 novembre et s'étaler sur plusieurs mois, ne soient émaillées de violences. D. Bouatta