La récente décision de la Banque d'Algérie de déprécier le dinar d'environ 10% a donné lieu à une controverse entre les différents acteurs économiques et financiers qui ne finit pas d'enfler. Les experts sont également partagés sur l'interprétation de cette mesure ainsi que son impact, à la fois sur les entreprises de production en termes de réduction des importations des intrants nécessaires à leurs activités, et sur le pouvoir d'achat des ménages en termes de poussée inflationniste liée au renchérissement des prix des produits importés. Le contexte économique et financier international, marqué par la "guerre des monnaies" entre les plus grandes puissances mondiales -Chine, Etats-Unis, Europe-, remet au goût du jour les questionnements autour de la dépréciation et/ou de la réévaluation du dinar et les conséquences de son éventuelle convertibilité totale, ou, du moins, le rapprochement de sa parité de celle des devises fortes. Ce qui signifie une revalorisation de son pouvoir d'achat. L'on s'en souvient du “niet” catégorique des autorités algériennes, arguant de l'impact inflationniste d'une telle hypothèse, compte tenu de la faiblesse de la production nationale, du manque de compétitivité de nos entreprises et des possibles fuites importantes de capitaux vers l'extérieur. À l'évidence, l'insuffisance de l'offre en produits fabriqués localement, aurait été nécessairement compensée par des importations massives. Ce qui est, du reste, le cas actuellement. En effet, les importations sont passées de 39 milliards de dollars en 2010 à 47 milliars en 2011. Entre temps, l'évolution des relations économiques et financières internationales a rendu la question plus complexe. En 2008 déjà, avec la survenue de la crise financière générée par les “subprime” et actuellement la question de la dette souveraine et l'enlisement de la zone euro, c'est en fait toute l'économie mondiale qui entre dans une crise structurelle dont personne ne peut prévoir la durabilité. En fait, sous l'effet de la mondialisation, la guerre larvée entre le dollar américain, l'euro européen et le yen japonnais, renvoie à la compétitivité des économies et des facteurs de production de ces puissances. S'agissant de la monnaie nationale, il faut rappeler que depuis son émission en 1964, à parité égale avec le franc français de l'époque, et jusqu'en 1973 (1DA=1FF), le dinar algérien a connu plusieurs dévaluations. Ainsi, en 1974, avec l'effondrement du système de "Bretton-Woods", la valeur du dinar a été fixée selon un panel de quatorze monnaies. Dans les années 80-90, plus exactement, de 1986 à 1990, période du contre-choc pétrolier, avec la chute drastique de nos recettes liées à la commercialisation des hydrocarbures, la monnaie nationale a connu une très forte dépréciation, passant de 4,82 dinars contre 1dollar à 12,19 dinars contre 1 dollar. Soit une dévaluation de plus de 150%. Les dévaluations du dinar vont se succéder (22% en1991) et (40% en 1995) par rapport au dollar américain. Ces dévaluations en cascades, cautionnées par Bretton-Woods, se voulaient un ajustement progressif du dinar à sa valeur réelle en vue de préparer sa convertibilité commerciale. Plus récemment, le taux de change du dinar est passé de 65 à 73 dinars contre 1 dollar américain entre décembre 2008 et juillet 2009. La loi de finances 2011 quant à elle a été basée sur un taux de change de 73 dinars contre 1 dollar. Cette érosion continue de la valeur de la monnaie nationale la rend très "faible" en comparaison du dinar tunisien (1,90 dinar= 1euro) et le dirham marocain (1 euro = 11,14 dirhams), alors que, dans cette devise, le dinar algérien affichait un taux de change officiel de 1 euro = 98 dinars, et sur le marché parallèle l'euro s'échangeait contre 130 dinars. La dernière mesure de la Banque d'Algérie accentue le glissement du dinar, avec un taux de change de 1 dollar contre 100 dinars et 1 euro contre 107 dinars. Le change parallèle suit cette tendance haussière en dépassant la barre des 140 dinars contre 1 euro. Largement toléré par les autorités, le change parallèle, aussi "scandaleux" et incompréhensible qu'il paraît, est, dans les faits, un moyen de mesure de la valeur réelle du dinar, en fonction des fluctuations de l'offre et de la demande au niveau du marché des devises. En vérité, bien que cette situation pénalise sévèrement le pouvoir d'achat des Algériens, notamment celui des catégories sociales les plus vulnérables ; il parait "anti-économique" de conférer au dinar une valeur superficielle sans contre partie de création de richesses réelles. Par ailleurs, une convertibilité totale du dinar, ou même une revalorisation relative peut, effectivement, ne pas présenter d'avantages particuliers pour le pays, d'autant qu'elle se traduira inévitablement par une hémorragie de capitaux vers l'extérieur. Cela signifie concrètement un transfert de valeur du peu de richesses que nous créons hors hydrocarbures, bien qu'une partie de la rente pétrolière elle-même fasse l'objet de transferts illicites vers l'étranger. Une telle hypothèse est d'autant plus prévisible que plus de 66% des transactions commerciales au niveau du marché national se réalisent dans le secteur informel et échappent au contrôle du fisc. Le commerce de gros informel au niveau de la seule zone du Hamiz, selon certaines sources, brasserait une masse monétaire de plus de 15 milliards des dollars américains an. Dans de telles conditions, l'on peut s'interroger légitimement sur les dividendes que pourrait engranger le pays d'une totale convertibilité du dinar ; sinon, que de délivrer un message d'une réelle et irréversible option de libéralisme économique, -avec la libre circulation des capitaux et des marchandises- en direction des partenaires étrangers et des institutions financières internationales. Alors pourquoi déprécier précisément maintenant le dinar ? D'aucuns pensent que cette décision relève de l'injonction du pouvoir politique pour tenter d'endiguer les effets pervers des récentes augmentations de salaires et leur impact sur la dépense publique et le déficit budgétaire. Pour le patronat, et c'est légitime, les autorités tentent de freiner les importations. Les chefs d'entreprise craignent des répercussions sur le prix de leurs intrants et la fragilisation de leur compétitivité à l'externe. Pour le secteur informel, une telle mesure réduirait considérablement leur marge de manœuvre spéculative. Enfin, pour les adeptes de l'orthodoxie financière, l'abrogation de la loi sur la monnaie et le crédit rend otage la Banque centrale du pouvoir politique, ce qui explique selon eux les dérives monétaires successives. La controverse est loin d'être terminée. A. H.