Le 11e Symposium international de MDI Business School, organisé à l'hôtel Hilton les 20 et 21 mai, s'est achevé par un dernier panel sur la gouvernance des entreprises publiques et privées, durant lequel les participants ont essayé de faire une synthèse des débats qui se sont tenus tout au long du symposium. Ayant pour thème «Gouvernance publique et privée : quelles priorités pour l'Algérie ?», ce panel a, d'emblée, posé la question de l'universalité et celle de la spécificité de la gouvernance d'entreprise sans qu'un consensus ne se dégage sur l'une ou l'autre option. Selon Mohamed Cherif Belmihoub, directeur de l'ENSM, la question de l'universalité est une question centrale quand on veut débattre de la gouvernance comme du management. “Ce ne sont pas des sciences établies pour qu'on puisse assurer leur transfert d'un endroit à un autre. C'est fondamental. Il n'y a pas de gouvernance optimale ou de gouvernance universelle”, explique-t-il. Il précise, qu'à l'origine, la gouvernance s'est posée comme problématique de la protection des propriétaires minoritaires dans les sociétés. “Les fondements de la gouvernance, c'est les droits de propriété”, a-t-il ajouté. Au jour d'aujourd'hui, le directeur de l'ENSM fait remarquer qu'il y a une asymétrie en matière de perception du droit de propriété dans le secteur public et le secteur privé. “Les droits de propriété dans une entreprise publique sont dégradés. C'est-à-dire qu'on n'est pas propriétaire. On est assimilé à un fonctionnaire. Au mieux on est salarié avec un contrat. Mais les droits de propriété sont dilués dans une hiérarchie de délégation”, souligne-t-il, ajoutant : “Quand les droits de propriété arrivent à l'entreprise, ils sont érodés et dégradés et, par conséquent, on ne les utilise pas dans le mode de gouvernance.” Professeur Belmihoub : “Les droits de propriété sont dilués dans les entreprises publiques.” Et nous avons, à l'opposé, dans le secteur privé, une conception patrimonialiste et même absolutiste. Selon lui, “il n'y a que la propriété qui s'exprime. Rien d'autre. Ça, c'est les deux extrêmes. Je pense que la gouvernance c'est de chercher justement le niveau intermédiaire. Comment les droits de propriété dans le secteur public doivent être revalorisés pour prendre leur place et comment dans le secteur privé atténuer l'absolutiste des droits de propriété.” Allant plus dans le détail, Benmihoub précise que dans le secteur privé, “ce n'est pas un problème de nombre d'entreprises ni celui du statut familial ou non de l'entreprise. Le vrai problème pour qu'il ait émergence de la bonne gouvernance qui va atténuer les droits de propriété, qui sont absolus dans l'entreprise privée, c'est de permettre à l'entreprise privée de sentir le besoin d'avoir des avis ou des partenariats autres que ceux basés sur les droits de propriété (actionnaire, généralement membres de la famille)”. Par ailleurs, ajoute-t-il, l'entreprise privée a besoin de confiance. Une part de la confiance est produite par l'entreprise dans ses relations avec les autres entreprises mais l'essentiel de la confiance est produit par les institutions publiques. Les institutions publiques doivent produire de la confiance pour apaiser, sécuriser les anticipations sur l'investissement sur le développement et l'innovation et donc on déplace le problème pour dire quid de la gouvernance dans les institutions qui sont supposées produire de la confiance. Les pouvoirs publics n'instaurent pas la confiance C'est là toute la question sur les réformes de l'Etat. Pour lui, “l'enjeu est dans les institutions intermédiaires. La priorité pour la gouvernance en Algérie est à ce niveau-là. Ce sont les Chambres de commerce par exemple. Comment elles fonctionnent aujourd'hui, les autorités de régulation ; il y a un problème sérieux au niveau des autorités de régulation en Algérie. Le Conseil de la concurrence. Est-ce qu'il fonctionne réellement sous l'angle de la transparence, de l'efficacité et de la responsabilité. C'est le problème de toutes les agences qui allouent les ressources publiques.” Intervenant dans le débat, l'ex-délégué de l'Abef, Abderrahmane Benkhalfa, estime que deux éléments sont en train de freiner la gouvernance. Il s'agit, selon lui, de l'excès du périmètre du droit et l'excès du contrôle externe sur le contrôle interne. Par ailleurs, ajoute-t-il, “les institutions intermédiaires, qui sont la jonction entre l'action des autorités et les acteurs des marchés, sont actuellement en quête d'une gouvernance, et tant que ce maillon de la chaîne n'est pas gouverné selon des méthodes économiques, nous aurons un problème qui complique le déficit de notre gouvernance.” Louis Roquet, DG de Cevital : “On est en phase d'apprentissage” Pour le DG du Groupe Cevital, Louis Roquet, “on confond souvent gouvernance et contrôle. Gouvernance, c'est prendre les bonnes décisions et non pas systématiquement éviter les scandales, les fraudes et les erreurs. La gouvernance c'est de la responsabilisation, c'est de la délégation formelle systématique dans l'organisation. La gouvernance, c'est des processus rigoureux et transparents plutôt qu'une couche de contrôle qui serait plaquée sur des processus déficients. La gouvernance c'est de la transparence.” Il ajoute que “chez Cevital, on est en apprentissage de la gouvernance. On est loin d'être arrivé. Mais cette volonté est une volonté ferme d'apprentissage de la gouvernance.” Ce groupe, premier groupe privé en Algérie, a modernisé son conseil d'administation (présence de six administrateurs indépendants) face aux enjeux de la succession, a souligné le DG de Cevital. Hassen Khelifati, P-DG d'Alliance Assurances : “Nous subissons les attaques quotidiennes d'un environnement contraignant” Hassen Khelifati, P-DG d'Alliance Assurances, estime, pour sa part, “qu'aujourd'hui, les entrepreneurs algériens ont de plus en plus pris conscience de leur rôle sociétal.” Pour certaines, les entreprises privées ont la volonté d'aller vers ce mode de gouvernance. Elles ont la volonté de faire des choses, mais l'environnement est tellement pénible ! “Dans tous les domaines, l'environnement externe est pénible et ne laisse pas assez de temps aux entreprises pour améliorer leur gouvernance. Elles subissent des attaques quotidiennes d'un environnement qu'il faudrait améliorer.” Slim Othmani, P-DG de NCA : “Peu d'entreprises privées s'impliquent” À noter que ce dernier panel, constitué d'experts et de chefs d'entreprise, a débuté par une présentation de l'expérience de l'élaboration du code algérien de gouvernance et le lancement de l'institut Hawkama El-Djazaïr, présentée par Ali Harbi, DG d'AHC Consulting. Lors de son intervention sur l'initiative, Slim Othmani a été sévère avec le monde de l'entreprise. “La naissance de Hawkama a nécessité une implication du monde de l'entreprise”, a-t-il indiqué en déplorant qu'”au lendemain de la rédaction du code, personne ne s'est intéressé à ce que nous avons produit. Personne n'a fait l'évaluation de sa gouvernance.” Selon lui, il y a une timide implication du mouvement patronal. “Ce n'est absolument pas suffisant.” Il indique que l'environnement des affaires algérien est très particulier. Pour lui, il est lié à la relation gouvernants-entrepreneurs, qui est très complexe. “Le rôle de l'économie doit être prépondérant. Il faut absolument qu'on démontre que nous sommes des chefs d'entreprise responsables, et la meilleure façon de le démontrer c'est de s'impliquer fortement dans cet institut que nous avons créé, qui est Hawkama”, conclut-il. S. S.