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Eclairage sur la pensée sociale en islam 2e partie et fin
LE PACTE D'ETERNEL ET D'UNICITE
Publié dans Liberté le 15 - 08 - 2012

D'après les textes fondamentaux, il faut compléter ce fondement spirituel du vicariat de l'homme sur la planète où il vit, en y ajoutant le principe aussi important du pacte éternel d'unicité.
L'élection qui intervient dans la vie sociale par la foi et par les œuvres a été précédée par la pré-élection en éternité de toute la race adamique quand le créateur "a pris dans le dos des fils d'Adam leur progéniture en les faisant témoigner pour eux-mêmes : ne suis-je pas votre Maître ? Alors ils répondirent : certainement que Tu l'es Seigneur" (7-172). Enracinée dans les "gènes" et se développant ensuite en conscience, l'unicité est témoignée de toute éternité par l'homme. Ce pacte n'exclut évidemment aucun groupement humain, et il en découlera de nombreuses idées sociales relatives à la justice et à l'égalité des hommes, des peuples et des nations. Ainsi, les récepteurs du message, qui peuvent être considérés comme des peuples choisis pour porter la bonne nouvelle, ont la responsabilité d'en diffuser le contenu à travers le monde. Si cette responsabilité du message universel n'est pas assumée, il y a faute et défaillance collective. L'Islam atteste cette universalité depuis l'annonce faite à Abraham que sa filiation spirituelle englobera toute la Terre. Il y a d'ailleurs un judaïsme universaliste chez les prophètes, de même que le message chrétien s'adresse, comme l'Islam, à toute l'humanité. L'unicité théologique annonce explicitement l'unicité humaine, et cet énoncé ne saurait se confiner dans le dogme, alors que la part la plus importante des religions monothéistes, c'est-à-dire leur spiritualité, est faite d'amour et de bonnes œuvres. Ce fondement moral ne saurait être coupé de ses développements relatifs à la vision sociale de justice et de solidarité humaine prise dans le sens le plus large qui soit. En Islam, les principes nous rappellent comment un égoïsme national peut créer la défaillance dans la responsabilité et faire surgir la mentalité des nations élues par rapport au reste de l'humanité. Ainsi, le message islamique vient-il rappeler que le gentil est touché par la grande annonce de l'unicité, tout comme le christianisme a brisé un certain nationalisme hébraïque en baptisant généreusement les païens.
"C'est Lui (Dieu) qui a envoyé parmi les gentils un messager issu d'entre eux qui leur enseigne Ses signes, les purifie et leur apprend le Livre et la sagesse, alors qu'ils étaient auparavant dans un égarement manifeste" (62-2). Ce principe d'unité et d'égalité fondamentale est une direction essentielle dans l'un des chapitres les plus importants de la pensée sociale de l'Islam concernant les droits de tous les peuples à la dignité, à la culture et à la civilisation. Mais les conditions d'accès à cette émergence qui fait le passage de la préculture au message conscientiseur doivent être créées par la pratique des vertus sociales. Il est recommandé au Prophète et à ceux qui sont venus à Dieu avec lui "de se distinguer par la rectitude et de ne pas être arrogants" (11-112).
Les qualificatifs de base des communautés initiatrices étant la justice sociale, il leur est ordonné de prêcher constamment la justice et de dénoncer l'iniquité. La société de vertu et de justice est annoncée non pas comme une société idéale aux projets et aux contours imprécis mais comme une organisation communautaire et intercommunautaire aux orientations humaines toutes en ouvertures et en constante perfectibilité.
Mais il faut au départ savoir qualifier les sociétés iniques, d'après les textes fondamentaux.
LES CITES INIQUES
Le message religieux réveille les consciences contre l'iniquité non seulement quand elle se pratique au niveau social mais aussi quand elle est divagation spirituelle. L'être humain est certes un être biologique, mais il lui est rappelé constamment que sa nature spirituelle constitue l'essentiel de sa vie: "Il vous a accordé l'ouïe, les regards et les cours (porteurs de conscience)" (76-78). Dès le premier instant de l'existence, le souffle de Dieu anime la vie de l'homme, qui réalise son émergence sur terre (le vicariat) par l'intelligence.
La conscience de l'unicité est en principe un état de nature qui met l'homme fidèle au pacte éternel, c'est-à-dire l'homme de foi, en éveil à sa spiritualité. Aussi, le paganisme et ce qui en découle comme superstitions, déjà dans les sociétés pré-étatiques, à l'instar de ce qui se passait dans les tribus arabes ou africaine, est considéré comme contraire à la nature spirituelle de l'homme. Mais le paganisme élaboré, construit en artifices cérémoniaux conduits par un clergé organisé au service d'un Etat dominateur, est considéré comme le summum de l'iniquité. Le message coranique, tout en confirmant le sens biblique de cette iniquité qui la tyrannie et l'esclavage, en précisera aussi la contre-nature spirituelle qui est la déification du Pharaon, avec les impostures qui en découlent. La foi des petits peuples, furent-ils réduits au servage, arrive à triompher de cette cruelle organisation politique et militaire, le grand éveil spirituel leur ayant été donné par le message. En réalité, ce triomphe de l'esprit de justice et d'égalité des peuples sur les civilisations matérialistes basées sur la force cruelle et les artifices d'une fausse culture se considérant comme supérieure, constitue le sens du message constamment répété de ce modèle de cité inique qui est le pharaonisme. Il restera présent dans toute la pensée politique de l'Islam dans les siècles à venir. Il y a aussi le modèle des autres cités antiques du monde moyen-oriental et de l'Arabie. L'une après l'autre, elles ont pratiqué leurs iniquités contre elles-mêmes et sont parvenues ainsi à l'autodestruction. Ad, dans sa cité de Tram aux innombrables colonnes ; Thamud, la ville sculptée dans les falaises ; Madiane, l'oasis de l'abondance agricole et du négoce ; Saba, la contrée des jardins irrigués par le barrage de Maanb, sont des sociétés à pouvoir tyrannique miné dans son organisation par l'injustice et essentiellement par l'absence de toute morale à cause de l'absence de toute spiritualité. Mais cette destruction des sociétés iniques n'est pas une fatalité. Les relations entre oppresseurs et opprimés auraient pu être changées par la conscience collective agissante et revenue à la morale, conformément aux directives des messagers de Dieu tels que Hud, Salih ou Choayb, prêchant le bien et dénonçant le mal. Ces leçons du passé serviront, d'après la pédagogie du message, aux sociétés présentes et à venir pour que la responsabilité morale ne soit jamais délaissée. "Prêcher le bien et dénoncer le mal" restera donc un principe fondamental de la vie sociale dans tous ses aspects politiques et économiques. La mise en application de ce principe est d'abord demandée aux hommes du pouvoir. Ils auront, par leurs efforts de réflexion et de création, en accord avec les doctes d'entre leurs contemporains, à en assurer l'institutionnalisation. S'il y a négligence de la part des détenteurs du pouvoir, les doctes restent la conscience de la communauté, parce qu'ils sont les héritiers réels de la spiritualité prophétique. "Les hommes de savoir sont les héritiers des prophètes", dit le Hadith. Il leur revient donc, conformément aux usages et aux formes de la sagesse prophétique, de rappeler par leur prêche et leurs écrits les principes de justice sociale.
Le droit de dénonciation et d'opposition aux pouvoirs iniques revient donc en premier lieu aux hommes de pensée dégagés de toute ambition personnelle.
L'histoire nous apprendra que ces principes ont rarement connu une application adéquate, parce que la force des pouvoirs successifs a repris des formes innombrables de l'antiquité païenne.
Le droit de dénonciation des iniquités s'est transformé en un droit de révolte diffus et accueilli dans l'anarchie populaire. C'est le passage de la cohésion sociale aux désordres politiques, connu sous l'appellation de "fana", ou grande anarchie.
Les opprimés avaient cependant un devoir, même quand ils sont réduits au rang d'affaiblis (moustadaafoun) frappés d'incapacité, d'agir politiquement : c'est le devoir d'exil conçu dans les racines spirituelles comme un exil vers Dieu, à l'instar de ce qui a été fait par les pères du monothéisme.
L'EXIL "HIJIRA" OU SAUVETAGE SPIRITUEL
La cité inique n'est pas seulement l'environnement social immoral au sens politique et économique, mais c'est aussi un environnement de déperdition et de contre-nature humaine puisque l'esprit y est étouffé. Abraham, en tant que premier père du monothéisme, a prêché chez les siens la foi en Dieu l'Unique. Mais la cité d'Ur, et d'ailleurs toute la Chaldée, était plongée dans le paganisme et l'astrolâtrie, au point que la conscience de l'unicité ne put être réveillée par ce grand messager. Il abandonne alors la civilisation artificielle pour un retour à la vie de liberté, dans un nomadisme inter-national entre la Chaldée, le pays de Canaan, l'Arabie et l'Egypte. C'est par cet exil que l'esprit s'épanouit, rencontre Dieu et lui fait don de son être. C'est "l'Islam fondamental de tous les prophètes et messagers qui deviendra enfin religion et communauté distincte dans la famille abrahamique. Il sera demandé, conformément à cette règle de fidélité spirituelle aux hommes qui se laissent dominer par l'injustice : "Pourquoi avez-vous failli ? Ils disent: Nous étions réduits à l'impuissance ; il leur est répondu : La terre de Dieu n'était-elle pas assez vaste pour que vous y entrepreniez votre exil ?" (4-97). Ainsi, les premiers musulmans, éprouvés dans leur foi en Dieu, partirent à deux reprises en exil vers l'Abyssinie et trouvèrent refuge chez "un prince qui n'accepte pas les iniquités". Cette amitié entre le premier Islam et ce christianisme africain pratiquant l'hospitalité et la protection des faibles donne une leçon de solidarité humaine entre communautés des peuples pauvres à travers les deux continents. Aussi, entre un christianisme encore vierge de tout esprit de supériorité ou d'exclusion et un islam non encore déformé par les errements politiques, il y eut des rencontres et des ententes exemplaires. Le groupe de chrétiens d'Abyssinie qui, suivant la tradition, vient s'informer sur le message de l'islam, rencontre des païens qui l'agressent par leurs propos. Ils lui répondent par la sagesse des hommes de spiritualité : "Paix à vous, nous ne voulons pas avoir affaire à des hommes violents" (28-55).
L'exil, pour la rencontre de la solidarité et la protection des hommes de foi qui se trouvent partout sur terre, était considéré comme un devoir.
L'exil du Prophète de la Mecque à Médine offre le modèle historique le plus étudié dans la théologie musulmane. Mais il ne faut pas perdre de vue l'importance du spirituel tel qu'il a été perçu par le premier Islam dans cet acte primordial de la construction de la société musulmane intercommunautaire, qui est restée le modèle idéalisé pour les générations à venir. L'ascension spirituelle du Prophète par le don de soi (islam) le plus parfait à Dieu aboutit à une fin qui est l'adoration comme mentionnée dans le message, comme amour parfait du Créateur. Ce stade de béatitude ne saurait être l'ultime ascension pour un messager prédestiné à répandre la miséricorde de Dieu parmi tous les hommes et dans "tous les mondes", c'est-àdire à travers toutes les sociétés et toutes les générations. Pareille mission ne peut s'accomplir sans que soient opérées des transformations sur la société du messager. L'exil, en tant qu'épreuve, replace le message dans la vie totale, avec tous ses aspects sociaux et politiques. Les hésitations devant le combat sont écartées par les nombreux versets qui légitiment l'engagement dans la lutte pour le triomphe de la justice et de la vérité : "Si Dieu ne suscitait pas de combat entre les hommes, la Terre serait corrompue (par les injustices)" (2-251) - "Combien de fois un prophète (avant toi) a combattu, ayant à ses côtés bon nombre d'hommes de Dieu" (3-146). À partir de là, l'exil, qui semblait être un acte spirituel entaché d'une apparente faiblesse politique, quand il se limite à la seule fuite devant la tyrannie et la corruption, devient un acte créateur de la société de justice, avec tout ce qu'il comporte de sacrifices. Le djihad de pure spiritualité devient alors un djihad complet.
Instaurer une communauté de justice où il n'y a aucune trace de pouvoir tyrannique, où les dirigeants sont des serviteurs, où la morale est la source des rapports entre les hommes, où la richesse matérielle n'a aucune valeur hiérarchisante, où les communautés ont la liberté de leurs pensées et de leurs cultes, tel fut le but de la hijra du Prophète et de ses compagnons. Le spirituel et le social se rejoignent dans cette cité de justice, qui reste l'idéal perdu et toujours recherché à travers l'histoire de l'Islam.


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