Au nord-Liban, Tripoli vit au rythme du conflit syrien. Groupes djihadistes sunnites et miliciens chiites s'affrontent régulièrement dans des combats sporadiques mais violents. Les habitants, premières victimes de cette "guerre des autres", demandent à l'état libanais de s'impliquer, et de reprendre pied dans la ville. La semaine dernière, un déserteur de l'armée syrienne, et le fils du fondateur d'un courant salafiste ont été arrêtés en pleine ville. Preuve une fois de plus, que Tripoli vit bien au rythme de la guerre syrienne. Une Syrie distante de 30 km à peine, et dont les frontières poreuses laissent passer armes, trafiquants et combattants de tous poils. Chaque jour, dans les quartiers périphériques et les villages proches de la grande ville du Nord, des affrontements ont lieu entre pro et anti-syriens. "La guerre des autres", déplore Mahmoud, chirurgien dentiste établi dans le quartier al-Mina. "L'Iran chiite et les monarchies arabes du Golfe sunnites se battent par milices libanaises et syriennes interposées. Au milieu, les Tripolitains, sacrifiés, ne demandent qu'à vivre en paix." Des propos illustrés par les combats qui opposent régulièrement les Alaouites, une secte chiite pro-Assad du quartier de Jabal al-Mohcin, soutenue par l'Iran aux sunnites de Bab al-Tebanneh, le secteur d'en face, financés par les émirs du Golfe. Une rue sépare les belligérants, et depuis trois ans les deux "confessions" enterrent leurs morts. Dernière tragédie : en octobre 2014, un groupe islamiste, peut-être ceux du Front Nosra, allié à al-Qaida prennent d'assaut les souks de la cité. Les combats avec l'armée font au moins 50 morts, dont six militaires et ravagent une partie de ce quartier historique. Directeur du Conseil culturel du Liban nord, et fin connaisseur de l'histoire de la région, le docteur Nazih Kabara voit dans ces combats la main de la Syrie: "Damas n'a jamais admis le rattachement en 1920 de Tripoli au Liban par les Français et les Anglais, qui s'étaient partagés le Proche-Orient à l'époque. Les Syriens ont toujours considéré que notre ville devait leur revenir. Aujourd'hui, le pouvoir syrien, se sert de Tripoli pour porter le conflit au Liban, afin de sauver sa peau." Le docteur Kabara reconnaît aussi qu'une forte majorité de Tripolitains "étaient alors partisans du rattachement avec la Syrie, et qu'au nom du nationalisme arabe, Tripoli se sentait politiquement plus proche de Damas que de Beyrouth, trop inféodé à la France, et à l'Eglise maronite". Cette fraternité avec le voisin syrien a laissé des traces dans les esprits, même si aujourd'hui, la majorité des Tripolitains se revendique libanaise et fière de l'être. "Beyrouth n'a pas rompu avec le passé et ne nous considère pas comme des citoyens fidèles", plaide le docteur Nazih Kabara. Les Tripolitains se plaignent d'être ignorés, voire méprisés par le pouvoir central. Preuve de ce sentiment d'abandon: un contraste saisissant entre Beyrouth qui vibre en cette période de fêtes de fin d'année de mille lumières, et Tripoli sombre et morose. Rues défoncées, immeubles lépreux, visages anxieux. Autour de la place Karamé, héros du nationalisme arabe et des indépendances, rebaptisée désormais "Rond point d'Allah", flottent les drapeaux noirs de l'islam. A la périphérie le décor est pire: trottoirs en terre battue, poubelles débordantes, constructions abandonnées, voies d'écoulements bouchées. Aucun des projets de développement programmés durant ces dernières années n'a été mené à son terme. Et chaque jour de nouveaux réfugiés syriens arrivent en ville. L'investissement est au point mort. L'Etat doit reprendre pied à Tripoli, sinon la misère et le terrorisme finiront par gagner l'ensemble de la ville. L. B.