Le vent du pragmatisme semble avoir soufflé sur la Maison du peuple. Tout dogmatisme jeté aux orties, les dirigeants de la Centrale syndicale font maintenant dans la realpolitik. Alors qu'il y a à peine quelques années, la seule prononciation du mot privatisation mettait les syndicalistes dans tous leurs états, ne voilà-t-il pas aujourd'hui qu'ils sont sur le point d'en devenir les plus grands chantres. Autres temps, autres mœurs, est-on tenté de dire. Aussi sans embarras aucun, Abdelmadjid Sidi-Saïd, le secrétaire général de l'UGTA, soutient-il : “Le mot privatisation est pour moi banal… Privatiser n'est plus un tabou. C'est la manière et son lendemain qui nous importent (…) Je risque de choquer, mais je veux avoir la conscience tranquille. Je ne veux pas tricher avec le monde du travail ni avec moi-même. Aujourd'hui, il y a une nouvelle donne, une nouvelle situation et une nouvelle configuration. Le gouvernement, l'UGTA et le patronat doivent ensemble travailler dans la loyauté et la transparence. L'UGTA est prête à jouer le jeu pour que les réformes économiques soient perçues positivement.” Cette déclaration faite par le patron de la Centrale syndicale, hier, à la radio Chaîne III en marge de la réunion du secrétariat national de l'UGTA, tenue au siège de l'INTEGE à El-Achour (Alger), renseigne on ne peut mieux sur la position qu'adopteront les syndicalistes à l'égard du programme des privatisations annoncé, il y a quelques mois, par le Chef du gouvernement Ahmed Ouyahia. “La privatisation est une question économique, et il faut la ramener à sa dimension économique. Qu'on ne parle plus de privatisations, mais de réformes ! (…) C'est une donnée nationale mais aussi mondiale. La véritable question et aussi le seul débat à poser maintenant est celui de savoir comment réussir une gestion profitable à notre économie créatrice de richesses au sens propre du terme, mais pas une privatisation pour le simple désengagement de l'Etat pour le plaisir de se désengager”, explique-t-il encore. Si certaines mauvaises langues ont été jusqu'à jeter l'opprobre sur Sidi-Saïd en l'accusant d'avoir tourné le dos aux préoccupations de la base syndicale, lui, par contre, jure par les grands dieux qu'il n'en est rien. “Je dis qu'il n'y a pas de changement dans notre position et encore moins un reniement”, assène-t-il. Ceci dit, Sidi-Saïd n'a pas donné son onction à la politique de privatisation — avec tout ce que cela comporte comme risque de fronde de la base sans une contrepartie. Il pose ses conditions : “Si le principe du respect des droits sociaux est compris dans le processus des négociations comme étant un élément fondamental, on peut affirmer que nous amorçons enfin une compréhension collective et mutuelle dans les privatisations (…) En somme, pour moi la privatisation doit être accompagnée de cet ensemble de droits sociaux et de libertés syndicales (…) Et si ces questions sont réglées, il est certain qu'une entente sur une nouvelle démarche économique entre l'UGTA et le gouvernement est enclenchée.” Une offre de service en somme. Et Ouyahia peut dormir sur ses lauriers. Son programme ne se heurtera à aucune opposition. Reste à savoir comment Sidi-Saïd compte vendre son attitude conciliante aux syndicalistes de la base qui ont exprimé bien des grognements. Plusieurs fédérations (hôtellerie, agroalimentaire, métallurgie…) ont, d'ailleurs, signifié, ces derniers temps, leur objection à la privatisation des entreprises publiques. Banaliser la question ? Peut-être. Concernant la réunion du secrétariat national, plusieurs questions y sont abordées, dont celle des privatisations. “Nous avons examiné les rapports des fédérations traitant de la situation économique du pays, à savoir la relance économique, les emplois, les entreprises, et bien sûr les privatisations. Nous avons aussi abordé la prochaine tripartite qui se tiendra normalement à la fin du mois en cours ou au début de février. Plus précisément, on a parlé des dossiers qui seront abordés lors de cette importante réunion, des résultats des groupes de travail ainsi que des propositions des fédérations qui n'ont pas toutes finalisé leurs travaux”, a affirmé, au téléphone, un responsable de la Centrale syndicale. Pour lui, le débat ne s'est pas focalisé sur la seule question des privatisations qui “n'est pas une question à l'ordre du jour” pour son organisation et qui n'est en somme qu'“un point parmi d'autres”. “Pour nous, la relance économique, la préservation des emplois… sont des dossiers autrement plus importants. Ceci dit, l'UGTA accompagne les réformes économiques. Nous estimons aussi que les privatisations sont un passage obligé. Mais nous exigeons du gouvernement le respect de ses engagements quant à la préservation des emplois, au maintien des droits acquis par les travailleurs, à la sauvegarde des libertés syndicales, etc.”, ajoute-t-il. A. C.