Ça sert à quoi de traduire un roman algérien de langue française en arabe, en Algérie ? Comme un grain de sable bloquant le rouage ! Le moteur de la société intellectuelle souffre. Il est grippé. En Algérie, ça ne sert à rien de traduire un roman algérien de langue française vers l'arabe. Ça ne sert à rien de traduire ce qui n'est pas lu par le lecteur ciblé. Le lecteur arabophone. Ça ne sert à rien de traduire ce qui n'est pas lisible. C'est un effort, avec tout le respect à mes amis les traducteurs, en vain. On pleure pour l'arabe. On pleure sur l'arabe. On pleure en arabe. Mais une fois que quelque belle littérature est traduite, on ne lit pas cette belle chose ! Des noms, des écrivains algériens dont le talent est mondialement reconnu, sont traduits en arabe. Du moins quelques titres d'eux, peut-être les meilleurs. Des romanciers algériens d'expression française, appartenant à la dernière génération, font l'exception littéraire dans le monde francophone. Leurs romans font un bon tirage. Une bonne vente. Une bonne visibilité médiatique. Quelques-uns parmi ces écrivains, une fois traduits dans d'autres langues européennes ou américaines, gardent leur succès. Mais ce qui est inexplicable, ce qui est indéchiffrable, pourquoi est-ce que ces mêmes auteurs, une fois traduits en arabe, en Algérie, et ils sont Algériens, et leurs romans dans la plupart du temps traitent de l'Algérie, ces mêmes auteurs ne sont pas lus. Ils passeront en silence. Dans la poussière des étagères. Sans aucun écho. On a traduit Boualem Sansal, en arabe, en Algérie. Une belle traduction. Et je suis sûr et certain que son célèbre roman, le plus connu, Le Serment des Barbares, n'a pas vendu cent exemplaires. On a traduit Yasmina Khadra en arabe, en Algérie. Une belle traduction subventionnée par l'argent de l'Etat, et c'est tant mieux. Il est le plus traduit de tous les autres écrivains. Et je suis sûr et certain que les ventes de tous ses titres traduits n'ont pas dépassé les deux cent exemplaires. On a traduit Anouar Benmalek, en arabe, en Algérie. Une belle traduction subventionnée par l'argent de l'Etat, et c'est tant mieux. Et je suis sûr et certain que l'éditeur n'a pas pu écouler cinquante exemplaires. On a traduit Malika Mokadem, en arabe, en Algérie. Une belle traduction subventionnée par l'argent de l'Etat, et c'est tant mieux. Et je suis sûr et certain qu'elle n'a pas vendu quarante exemplaires. Comment explique-t-on ce boycott manifesté par le lecteur arabophone en Algérie vis-à-vis de ces bons écrivains francophones ? Certes, le lecteur arabophone souffre d'une allergie culturelle chronique. Cette allergie algérienne s'appelle : tourner le dos à tout ce qui est célébré par le champ culturel et littéraire français. Pourquoi est-ce que la première génération des écrivains en langue française, celle des années cinquante, de Mohammed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Malek Haddad, Assia Djebar... avait un lectorat arabophone considérable, en Algérie comme dans le monde arabe. Dès qu'un roman ou un recueil de poèmes fut traduit, même si c'était dans la plupart des cas des traductions "militantes", le lecteur est au rendez-vous. Certes que tous ces écrivains de la dernière génération que j'ai cités un peu plus haut, et d'autres, sont bien lus en Algérie, mais dans la langue d'origine, c'est-à-dire le français. Profitant de la promotion faite de l'autre côté, leurs romans sont attendus par le lectorat averti. Et tant mieux ! Comment explique-t-on ce boycott manifesté par le lecteur arabophone en Algérie vis-à-vis de ces bons écrivains francophones ? La machine livresque est grippée. Nous n'avons pas d'éditeurs professionnels. Nous ne possédons pas de chaîne de librairies rodée. L'école ainsi que l'université ne font pas le travail pédagogique et médiatique pour pousser à une lecture des œuvres traduites en arabe. En somme, malheureusement, nous n'avons pas su comment profiter de notre richesse linguistique, de notre diversité linguistique. Cette richesse, par l'idéologisation aveugle du champ culturel, a créé une sorte de fracture dans la société d'intellectuels. Je ne suis pas pessimiste, mais c'est la réalité criante. A. Z. [email protected]