Le temps semble donner raison à l'opposition, puisque le doute a fini par gagner les proches de Bouteflika. Dix-neuf personnalités venues de divers horizons, parmi elles des amis proches, sinon intimes de Bouteflika, viennent d'afficher publiquement leur doute quant aux capacités du président de la République à diriger le pays. Pour en avoir le cœur net, elles ont sollicité, en date du 1er novembre, une audience au Président. La demande, remise au directeur de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, et au secrétaire particulier du chef de l'Etat, Mohamed Rougab, laisse transparaître l'idée d'un Président otage d'un entourage qui ne l'informe pas de tout, voire même qui prendrait des décisions à sa place. "(...) Le recours à la presse pour vous faire parvenir notre demande d'audience est dicté par notre crainte légitime qu'elle ne vous parvienne jamais par les canaux institutionnels officiel", ont expliqué les signataires du document qui fera assurément date. Mais alors, qu'est-ce qui fonde ce soupçon d'une obstruction intentionnelle des canaux officiels pour éviter que le courrier lui parvienne ? Ce soupçon est la conséquence logique d'un doute que des faits survenus et des décisions attribuées au chef de l'Etat prises, depuis son élection en avril 2014 jusqu'au message de la veille de la célébration du 61e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération, ont épaissi. Le doute sur la capacité de Bouteflika à gouverner est né immédiatement après son AVC, dont il garde toujours les séquelles, qui lui a valu une longue hospitalisation en France, suivie d'une convalescence encore plus longue. Il est le fait de l'opposition d'abord qui a réclamé, des mois durant et avec insistance, l'application de l'article 88 de la Constitution relatif aux cas "d'empêchement". Sa candidature, puis sa réélection dans les conditions que l'on sait, pour un 4e mandat d'affilée en 2014, ont été interprétées, toujours par la même opposition, comme une prise d'otage porteuse d'immenses risques pour le pays au triple plan politique, économique et sécuritaire. La perte de lucidité du candidat Bouteflika au moment du dépôt de son dossier au niveau du Conseil constitutionnel a renforcé la conviction chez l'opposition que Bouteflika ne pouvait assumer pleinement sa charge présidentielle. Depuis lors, l'opposition parle de vacance du pouvoir. Le temps semble lui donner raison, puisque le doute a fini par gagner les proches de Bouteflika. Il y a eu d'abord ce mystérieux intercalaire dans son message lu à Ghardaïa à l'occasion du 19 mars. "De pseudo-hommes politiques, soutenus par une presse qui n'a aucun souci de son éthique professionnelle, s'évertuent, matin et soir, à effrayer et démoraliser ce peuple, à saper sa confiance dans le présent et dans l'avenir. Ce peuple qui n'a accordé et n'accordera pas de crédit à leurs sornettes." Un manque de sérénité flagrant qui fera dire à Ali Benflis que "l'on ne sait qui, du titulaire nominal de la fonction présidentielle ou de cercles occultes qui se sont constitués à la faveur de la vacance du pouvoir, est le véritable concepteur et l'instigateur réel de ces agressions contre l'opposition et la presse". L'intercalaire a dû être supprimé dans la version revue et corrigée du message. Vient ensuite le cafouillage autour d'un remaniement ministériel qui a vu instituée une diplomatie bicéphale. C'était en mai 2015, lorsque, à la faveur de ce remaniement, Ramtane Lamamra et Abdelkader Messahel se sont retrouvés tous les deux au même rang ministres des Affaires étrangères dans un même gouvernement. Du jamais vu dans les annales de la diplomatie. La situation durera quatre jours avant qu'un autre remaniement soit opéré et qui verra Lamamra élevé au rang de ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, et Abdelkader Messahel maintenu au rang de ministre des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue arabe. Du pur bricolage, ont commenté des voix diplomatiques sous couvert de l'anonymat. Des voix qui ont soupçonné une intervention autre que celle du président de la République dans ce remaniement et que ce dernier est intervenue en aval pour rectifier la bourde. Le transfert de son bureau de la présidence de la République à la résidence de Zéralda où il accorde ses audiences aux hôtes étrangers en visite en Algérie est compris, aujourd'hui, y compris par Zohra Drif, comme son isolement pour l'éloigner des réalités politiques, économiques et sociales du pays. Autrement dit, un Président otage. S.A.I.