Le journaliste du Quotidien d'Oran a, comme Icare, cramé ses ailes porteuses sous les projecteurs de la notoriété jusqu'à tomber tête baissée dans le labyrinthe des répliques tous azimuts. Dans notre texte du 11 janvier 2015, "Kamel Daoud : un révélateur malgré lui, malgré tout", nous évoquions les deux purgations venues dégonfler et récupérer la bulle médiatique entourant l'auteur de Mersault, contre-enquête, un livre que Rachid Boudjedra traitera sur la chaîne Ennahar-TV de (...) "médiocre, sans construction ni philosophie (...), de minable navet (...) écrit en français, publié en France et accompli par un type qui devrait aller au hammam pour se départir du complexe de colonisé" : en somme pour se purifier de quelques impuretés. C'est aussi ce que préconisait avant lui le fondamentaliste Abdelfatah Hamadache Zeraoui en propageant le 16 décembre 2014 une pseudo-fatwa, en surfant en vérité sur une séquence honorifique émoussée par une critique littéraire parisienne favorisant la germination de l'ouvrage, et à travers lui l'aura grandissante de son "félibre". Sollicité de toutes parts depuis plus d'une année, ce dernier s'est peut-être laissé griser et submerger par le succès et n'a pas su mettre le holà à temps, prendre le recul nécessaire pour se poser sur une aire de repos éloignée des postures que beaucoup l'invitent ou pressent à réitérer. Si des dermatologues informent les patients de la mutabilité du capital soleil, en consommant avidement et trop rapidement le sien, le journaliste du Quotidien d'Oran a, comme Icare, cramé ses ailes porteuses sous les projecteurs de la notoriété jusqu'à tomber tête baissée dans le labyrinthe des répliques tous azimuts. Monté le 5 février 2016 à la tribune du journal Le Monde pour analyser (...) "ce qui s'est passé à Cologne la nuit de la Saint- Sylvestre", il épanchera une série de truismes dignes de l'imagologie que prônera la littérature viatique des Romantiques et se fera rattraper par une patrouille qui, volant en escadrille, descendra point par point ses poncifs énumérés en direction d'individus originaires de pays déstructurés et, depuis l'été 2015, réfugiés en Allemagne. Les historiens Noureddine Amara, Joel Beinin, Houda Ben Hamouda, Jocelyne Dakhlia, Muriam Haleh Davis et Darcie Fontaine, anthropologues Giulia Fabbiano, Ghassan Hage, Laleh Khalili, Pascal Ménoret et Stéphanie Pouessel, sociologues Tristan Leperlier, Benoît Challand et Sonia Dayan-Herzbrun, politistes Nadia Marzouki, Elizabeth Shakman Hurd et Thomas Serres, le philosophe David Theo Goldberg et le journaliste Seif Soudani signaleront dans leur réaction "Nuit de Cologne : Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés" que "répandre à tout va et au tout-venant sans enquêtes de terrain ou interrogations subsidiaires, c'est immanquablement s'exposer à une troisième sentence ; il s'agit donc ici de celle de femmes et d'hommes rétifs aux recoupements simplistes de l'écrivain algérien. Généraliste et partant sans dimension ni volume, car réductionniste, sa lecture bifide ou binaire de l'émancipé Occident confronté aux envahisseurs du barbare Orient demeurera au ras des pâquerettes et ne nous aura pas convaincus. Difficile à ce titre de soutenir (comme le feront les journaux Libération et Le Nouvel observateur du 21 février) cette fois, celui dont la contraction minimaliste fixe la femme comme prisme des frustrations et illuminations pour finalement (...) alimenter les fantasmes islamophobes d'une partie croissante du public européen" rétorqueront le 12 février 2016 les 19 signataires. Rejetant les perspectives caricaturales et culturalistes, ils interviendront contre la cartographie virtuelle et la géométrie variable d'un chroniqueur supposé être (...) "marqué par son expérience durant la guerre civile algérienne" mais alimentant inconsciemment le racisme ordinaire de factotums prêts à en découdre au nom d'une identité à préserver, d'une modernité en panne de croyances, d'un constat axiologique, d'un désenchantement synonyme d'ostracisme ambiant, d'un décrassage censé laver plus blanc, d'un troupeau de moutons en transhumance et n'ayant comme unique remède au spleen de l'exil que des pulsions primaires conduisant, il est vrai, à d'impardonnables agressions sexuelles. Contrairement à un collectif mettant en exergue les mauvaises conditions d'hébergement des expatriés (selon ses membres sous le coup d'instinctives et compréhensibles prépondérances), aucune modalité politico-sociale ou économique n'excuse à nos yeux des comportements répréhensibles ; leur trouver des circonstances atténuantes, c'est les dédouaner d'actes condamnables en soi et mettant en péril la socialisation-intégration de centaines d'autres migrants, leur dénier une conscientisation préventive, c'est-à-dire la possibilité d'appréhender la nécessaire prise en considération d'un environnement de plus en plus hostile. La condescendance n'a pas davantage à se substituer à l'assimilationnisme d'un laïque (assertion ne renvoyant pas obligatoirement à de l'athéisme) donnant sur un autre territoire que le sien des leçons de bonne conduite à une masse informelle de misfits (désaxés économiques ou fuyant les conflits syrien et irakien) à mettre au pas et à (re)dresser. La surenchère du romancier alimentera assurément le moulin à moudre de concasseurs haineux dont les permanentes rondes de nuit n'augurent rien de positif pour des Maghrébins de France (re-naturalisés ou pas) qui doivent s'apprêter à entrer dans la plus dure des dichotomisations, surtout si Donald Trump atteint aux Etats-Unis l'investiture suprême. Avec son dernier essai, le philosophe et sociologue Raphaël Logier a beau annoncer que la guerre de civilisation n'aura pas lieu, de nombreux facteurs, comme par exemple le penchant droitier d'ex-démocraties populaires du bloc soviétique ou encore les membres d'une police et armée hexagonales avouant à plus de 50% voter en 2017 pour le Front national, démontrent l'inverse de sorte que, aveuglé par les sunlights de la starisation et n'ayant pas su prendre le pouls du "bataclanisme" (néologisme né à la suite du massacre perpétré le 13 novembre 2015 au Bataclan), Kamel Daoud a mis son grain de sel sur la plaque tectonique d'une marmite en ébullition. En dérapage incontrôlé, le voilà dans l'œil du cyclone, celui d'universitaires rodés à des investigations les distinguant promptement des mises en boîtes ficelées en scoops télévisuels et de la tirade-slogan "L'Arabie Saoudite, un Daesh qui a réussi". Lancée sous les feux de la rampe du New York Times (le 20 novembre 2015) elle fera indirectement, mais encore, du musulman coincé entre l'"islamo-gauchisme" des uns et l'"islamo-fascisme" des autres, la cible des constantes cristallisations, notamment le souffre-douleur d'Alain Finkielkraut. Dans son émission radiophonique du samedi 20 février (rendez-vous hebdomadaire de 9h à 10h du matin sur France-Culture et intitulé "Répliques"), le désormais immortel de l'Académie française citera des extraits issus de la revue Magazine littéraire où sa "caution magique" Kamel Daoud renouvelait des propos de la même teneur que ceux développés au niveau du quotidien Le Monde. Poussé ou se sentant obligé de commenter à tout bout de champ la chaude actualité, le dénigré du moment s'est non seulement brûlé les doigts en exhibant des déchéances humaines mais a par ailleurs manifestement oublié de pointer sa loupe grossissante sur la nouvelle Constitution algérienne où la perfide introduction de l'article 51 fait admettre que la violence symbolique peut parfois induire plus de dégâts que la violence physique. S.-L. F. Sociologue de l'art.