La tripartite du 5 juin dernier, pourtant présentée comme un tournant historique, au sens où elle devait notamment acter "un nouveau modèle de croissance" pour projeter l'Algérie dans l'après-pétrole, s'avère être, pour de vrai, un bide historique. Car en fait de modèle de croissance, force est d'observer, avec les experts, qu'il s'agit, au mieux, de quelque chose de sommaire, voire de virtuel, totalement asymétrique à la nature de la crise sévère qui étrangle le pays. "L'ampleur de la crise et sa durée avaient été sous-estimées par les pouvoirs publics", assène l'économiste et néanmoins vice-président du Cnes, Mustapha Mekidèche, qu'on ne peut suspecter d'hostilité déclarée au gouvernement. Tout compte fait, la seule décision palpable prise lors de cette tripartite, c'est la fin annoncée de la retraite anticipée. Sauf que le gouvernement donne cette impression de manquer de culot pour assumer sa décision. En témoigne ce communiqué frileux de la CNR qui explique que "la Caisse n'a reçu aucune instruction pour geler les dossiers de départ à la retraite". Le message est clair : il s'adresse aux travailleurs qui, au lendemain de l'annonce de la décision, sont montés en première ligne pour exprimer leur mauvaise humeur, considérant la retraite anticipée sans condition d'âge comme "un acquis des travailleurs". C'est un des slogans brandis par les syndicalistes de la zone industrielle de Rouiba qui ont observé, au pied levé, un sit-in de protestation. Tout au long des jours qui ont suivi la réunion gouvernement/syndicat/patronat, on a entendu d'autres syndicats autonomes mettre en garde l'Exécutif contre la tentation du passage en force. Pourtant, cette retraite sans condition d'âge, revendiquée aujourd'hui par les syndicalistes comme "un droit acquis des travailleurs", n'est, paradoxalement, qu'un des effets induits par la thérapie du FMI imposée à l'Algérie. Petit rappel historique : la retraite anticipée a été instaurée en 1997. Le gouvernement de l'époque entendait ainsi maquiller les politiques des licenciements massifs dans la Fonction publique et les secteurs économiques étatiques. Après presque vingt ans d'application, le gouvernement considère qu'il n'est plus possible de laisser les choses en l'état, sauf à prendre le risque de plomber les finances de la Caisse nationale des retraités. Djawad Bourkaïb, directeur général de la Sécurité sociale au ministère du Travail, lors de son dernier passage à la radio, expliquait que la fin de la retraite anticipée était motivée notamment par le souci d'"assurer la pérennité du financement de la retraite fondée sur le principe de la solidarité intergénérationnelle". M. Bourkaïb souligne que l'un des facteurs mettant en difficulté la Caisse nationale de retraite (CNR) est dû essentiellement au départ précoce des personnes actives. Ceci entraîne "des versements à leur profit avant l'âge de 60 ans, pendant une durée assez longue, et provoquant une rupture de cette solidarité". En chiffres, il nous apprendra que "la CNR verse, chaque année, 770 milliards de dinars sous forme de pensions à environ 1,6 million de retraités, dont plus de 50% ont quitté leur emploi avant l'âge de 60 ans", donc ayant bénéficié d'une retraite anticipée. Ces chiffres qui parlent d'eux-mêmes montrent, à l'évidence, que la décision prise par la tripartite relève du gros bon sens et qu'elle s'impose, même si elle n'est pas du goût des travailleurs. Le gouvernement est, théoriquement, à l'aise pour défendre son projet. Pourtant, il ne l'a pas fait, le service après-vente n'est pas assuré. Le ministre de la Communication, au lieu de montrer ses muscles au journal El Khabar, aurait été infiniment plus utile en faisant de la pédagogie sur ce qui avait été décidé. Si pour assumer la fin de la retraite anticipée, qui n'est pas si antinomique que cela aux "intérêts supérieurs des travailleurs", le gouvernement et ses communicateurs n'ont pas le courage d'aller au charbon, on se demande bien comment il s'y prendra le jour où il faudra annoncer la fin des subventions. Et il n'y coupera pas. Omar OUALI