Un silence angoissant régnait, hier, dans les locaux du quotidien El Khabar, sur les hauteurs d'Alger, à Hydra, où les journalistes ne savent pas de quoi sera fait demain. Au premier étage de l'immeuble, dans la grande salle abritant la rubrique locale, de jeunes visages au regard perdu occupent leurs bureaux respectifs. Les yeux rivés sur les écrans de leurs micro-ordinateurs, ils regardent mais sans réellement rien voir, l'esprit étant complètement ailleurs. Nesrine Benbrahim, la vingtaine, a rejoint l'équipe El Khabar il y a à peine deux ans. Elle feint un sourire comme pour masquer son humeur maussade. De temps à autre, ses doigts traînent, malgré elle, sur son clavier. Elle a du mal à trouver une chute à son article du jour. Un article qu'elle peine à rédiger depuis qu'elle a appris la nouvelle, le matin. "Je m'attendais à cette décision, mais en même temps, je gardais un peu d'espoir. Maintenant, je me sens perdue. Je ne sais pas ce qu'implique une telle décision, ce que nous réserve l'avenir et ce qui va se passer pour nous...", soupire-t-elle. Un étage plus haut, une autre grande salle abrite la rubrique politique d'El Khabar. L'atmosphère est différente. Des regards aiguisés sont concentrés sur les écrans des micro-ordinateurs. Le cliquetis des claviers se fait entendre avec rage. Ces visages aguerris ne s'avouent pas facilement vaincus. Dans l'édition de demain (aujourd'hui, ndlr), ils veulent tenir leur revanche. Ils veulent partager avec les dizaines de milliers de lecteurs d'El Khabar ce "sentiment d'injustice". Mohamed Sidoummou en fait partie. À 9h, il était déjà devant le tribunal administratif de Bir-Mourad-Raïs, à attendre le verdict de l'affaire opposant son journal au ministère de la Communication. "J'ai appris le jugement sans aucune surprise. Même si une surprise est venue me rattraper un peu plus tard. L'avocat du ministère de la Communication faisait des déclarations étranges à la sortie du tribunal. Il parlait d'une nouvelle demande d'agrément qu'El Khabar devrait introduire auprès du ministère de la Communication. Il soutenait qu'El Khabar doit se conformer à la loi sur la communication de 2012, affirmant que notre journal existe désormais de manière non réglementaire. S'il y a lieu de se conformer, ce sont tous les journaux qui devraient le faire, même si l'article131 de la loi en question le prévoit après l'installation de l'autorité de régulation de la presse. Chose qui n'est pas encore faite. Et puis, l'annulation d'une transaction suppose le retour vers la situation initiale. Nous n'avons donc pas à demander un nouvel agrément." Mohamed Sidoummou pense que si jamais le département de Hamid Grine s'engage dans cette piste, cela veut dire qu'"avec ou sans Issad Rebrab, il y a une intention de fermer El Khabar". Il est même convaincu que cette "étrange interprétation de la loi" participera à "garder l'épée de Damoclès suspendue sur la tête du journal". En clair, "vous existez toujours, mais nous pouvons, à tout moment, fermer le journal". Un jeu dangereux, aux yeux de Mohamed Sidoummou, qui lance, d'ailleurs, un message au pouvoir en place : "Vous jouez avec le feu." Son collègue Hamid Ghoumrassa ne se faisait pas d'illusions, lui non plus. En vieux routier du métier, il sait très bien qu'"un tribunal administratif est forcément acquis au parti de l'administration". Et c'est ce qui a été confirmé aujourd'hui, relève-t-il. Dans l'annulation de la transaction El Khabar, Hamid Ghoumrassa voit une double sanction : "La première sanction concerne Issad Rebrab. Il a dépensé de l'argent et il n'a pas acquis le journal. La deuxième sanction est contre El Khabar et vise à le priver d'une certaine aisance financière. Car s'il y a eu vente de parts, le journal était vraiment étranglé financièrement, et par ce même pouvoir." Hamid Ghoumrassa a encore des choses à dire, mais il les dira dans les colonnes de son journal, sous sa signature qu'il continuera à apposer, chaque jour, dans El Khabar. Quelque chose lui tient, cependant, à cœur : "Ce qu'a fait Hamid Grine ne l'honore pas. Le gouvernement non plus." M. M.