Si la confusion et l'inquiétude se lisent sur les visages de la jeune équipe d'El Khabar, l'espoir n'a, toutefois, pas été achevé. Mohamed Siddoumou, journaliste à la rubrique politique, en a même la certitude : "Hamid Grine n'a pas gagné". C'est avec grande discipline et application que les travailleurs d'"El Khabar" s'acquittaient de leur tâche, hier, dans l'après-midi, après l'annonce du verdict gelant le rachat d'actions du groupe de presse par la société Ness-Prod. Imène Fraoussi, journaliste à la rubrique locale, rentre d'une couverture. Elle a appris la "mauvaise" nouvelle en cours de route. En jeune journaliste, encore naïve et surtout rêveuse, admet-elle, elle ne s'attendait pas à un tel verdict. "Pour moi, il n'était pas question de geler la transaction. Je m'attendais à un jugement équitable. J'étais optimiste. Maintenant, nous ne savons pas ce qu'implique un tel verdict. Nous sommes confus", témoigne-t-elle. Imène Fraoussi a un compte-rendu de presse à rédiger, mais elle ne trouve pas encore la force. "J'ai du mal à entamer mon papier, mais je dois le faire", se résigne-t-elle. Elle ressasse sans cesse la même phrase : "Nous avons perdu confiance en la justice." Son collègue de la rubrique économique, Saïd Béchar, n'avait pas, par contre, les mêmes appréhensions. "Je m'attendais à une telle décision. Nous ne sommes pas dans un Etat de droit", souligne-t-il. L'équipe de la rubrique politique vient tout juste de terminer sa réunion avec le directeur de publication du journal, Cherif Rezki. Le journaliste Hamid Ghoumrassa dit "oui et non" à la question de savoir s'il s'attendait à un tel verdict. "Oui, parce que je savais qu'il s'agissait d'une décision politique. Non, parce que je gardais l'espoir de voir le tribunal appliquer la loi. Il se trouve que la décision politique a été au-dessus de la loi." Mais Hamid Ghoumrassa ne s'avoue pas abattu. "Ce n'est pas la première fois que le pouvoir s'en prend à El Khabar, même si cette fois-ci il est parti loin. Le combat continue", promet-il. À côté, le journaliste Mohamed Siddoumou est paisiblement installé dans son bureau. Il a une interview à décrypter. Pour lui, l'équation est plutôt simple : "Si nous prenons l'affaire sous un aspect juridique, un étudiant de 1re année en droit vous dira que le tribunal administratif de Bir-Mourad-Raïs n'a pas la compétence, de même que le ministère de la Communication n'a pas la qualité de porter plainte. Si nous étions donc dans un Etat de droit, le verdict aurait été étonnant. Mais puisque nous sommes dans un Etat où la justice n'est pas indépendante, je dirai que le verdict était, de ce point de vue, attendu. Attendu dans le sens où des politiques qui parlent au nom du pouvoir avaient déjà rendu le verdict, à l'exemple d'Ahmed Ouyahia et Amar Saâdani." Mais même si le verdict a été en défaveur d'El Khabar, Mohamed Siddoumou estime que "Hamid Grine n'a pas gagné". Comment ? Il s'explique : "Hamid Grine sait au fond de lui-même qu'il n'a pas gagné. On ne peut remporter une victoire injustement, car elle a toujours un goût amer. Dans le cas du ministre de la Communication, la victoire véritable aurait été de consacrer la liberté d'expression. Il ne peut pas donc gagner contre notre journal. L'histoire d'El Khabar est beaucoup plus grande que lui." Et contrairement à Hamid Grine, à El Khabar, explique Mohamed Siddoumou, "nous voyons loin". Il conclut d'ailleurs sur ce propos : "Ce que nous subissons aujourd'hui n'est qu'une étape. Le monde entier se dirige vers le renforcement de l'Etat de droit et de la liberté d'expression. L'Algérie ne peut pas aller à contresens éternellement. La marche de l'histoire va les engloutir." Reportage réalisé par : Mehdi Mehenni