Si le constat sur les statistiques approximatives fait l'unanimité pour les spécialistes, le professeur Zitouni estime que le plan anticancer, même au risque d'échouer à son lancement, participe de la réforme de la politique nationale de santé. La question des données épidémiologiques et des bilans chiffrés pour ce qui est des activités des établissements de santé, notamment ceux traitant du cancer, demeure la problématique de la politique de santé publique dans notre pays. Hier matin, à l'ouverture des travaux, à Oran, du Congrès international sur le thème : "Cancer et prévention" organisé par l'EHU du 1er-Novembre, la remarque, sans langue de bois, d'un professeur du Centre Pierre-et-Marie-Curie d'Alger, a relancé le débat sur ce sujet. "La plupart du temps, les chiffres qui sont donnés un peu partout sont faux, on peut même dire que les chiffres sont falsifiés et les bilans faux ! Quand vous demandez à un chef de service d'évaluer son travail et de donner des chiffres, il est évident qu'il va les gonfler. Et pour savoir ce qui se passe, il faut écouter les dénonciations des malades", dira l'intervenant mettant en parallèle sa remarque avec la question de la politique de santé et du système de santé en Algérie. Et c'est le Pr Zitouni, coordinateur national du comité de pilotage du plan national anti-cancer, qui répondra à son confrère. Sans objecter son collègue, dont la remarque pouvait tout aussi bien concerner les autres pathologies, le Pr Zitouni dira qu'un "groupe de travail éthique et cancer" devait se mettre en place et alors même qu'il est attendu de l'épidémiologie non pas une simple comptabilité, mais des axes pour "indiquer où aller et quelle stratégie de politique de santé doit être mise en place". Devant un parterre de spécialistes venus de tout le pays, le Pr Zitouni a montré que la question du nombre de cas de cancer en Algérie—entre 45 000 et 50 000—est en expansion et que si dans les pays développés l'incidence est en baisse, dans les pays en développement, il existe une surmortalité. Bien sûr, en cause la prévention, les diagnostics qui ne sont pas précoces. Mais pas seulement, a expliqué l'orateur faisant le lien avec l'augmentation de la population et l'amélioration de l'espérance de vie qui est de 80 ans dans notre pays. "C'est à cause de l'évolution de l'âge et des facteurs à risques que les cancers sont plus fréquents", précisera-t-il. Même s'il prend les devants, s'agissant de l'efficacité du plan cancer (2015-2019), qui en est à l'étape de mise en œuvre, le professeur Zitouni prévient que "les premiers plans échouent souvent et en 2019, il faudra une évaluation objective pour asseoir une véritable stratégie de lutte contre le cancer". Ces questions de prévention et d'épidémiologie ont été mises en avant pour expliquer que les pays qui avaient instauré une véritable politique de lutte contre le tabagisme avaient permis de réduire fortement l'incidence du cancer dans leur société. Et en Algérie les chiffres du tabagisme font peur et interpellent les oncologues puisque 30% des adultes fument, 18% ont commencé à fumer à 13 ans et qu'il y aurait désormais 6% de femmes qui fument. Quant aux cancers professionnels, encore une fois en Algérie, c'est une question de chiffres, comme l'a expliqué une communicante du service de médecine du travail du CHU de Tizi Ouzou affirmant que "les risques de cancers professionnels sont sous-estimés dans notre pays, il n'y a aucun chiffre, et bien souvent ces cancers apparaissent des années après l'exposition, notamment lors de la retraite". Elle pointe du doigt le manque d'informations données aux travailleurs pouvant courir des risques liés à leurs activités et à "l'absence de suivi de la médecine du travail". D. LOUKIL