Le déchirement et la crise d'identité ne sont pas les seuls châtiments qui leur sont réservés. Des êtres frêles, sans défense, sont condamnés sans être coupables d'une quelconque faute. Mais l'absurdité fait qu'ils paient celle de leurs géniteurs quand ceux-ci dénient toute responsabilité. Nés de relations "illégitimes", ces enfants sont souvent abandonnés, avec un peu de chances, dans une maternité sinon dans la nature. Toutefois, le déchirement et la crise d'identité ne sont pas les seuls châtiments qui leur sont réservés. La discrimination émanant d'une partie de la société, rajoute à leur peine et à leur désarroi. La pouponnière, un premier refuge Ces enfants recueillis ou trouvés sont, après un court séjour à la maternité, reçus à la pouponnière. "Ce sont 1 237 enfants nés hors mariage à être pris en charge dans 51 centres d'accueil à travers 42 wilayas jusqu'au mois de novembre 2016", a déclaré, au mois de février écoulé, Mounia Meslem, ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme. La ministre a fait savoir qu'"une aide psychologique, éducative et sociale est assurée à ces enfants, dans le cadre de la politique de l'action sociale et de la solidarité comme le prévoit la Constitution". Près de 80% de ces enfants seraient, selon une source bien informée, dans une situation juridique leur permettant d'être récupérés par leurs géniteurs. "Et ce serait l'idéal pour eux", nous dit Kheireddine Achi, directeur de l'Action sociale et de la solidarité de Batna. En attendant, "les nourrices sont exhortées à, d'abord, humaniser leur tâche, autrement dit veiller au bien-être de chaque enfant comme d'un membre de leur famille. Les éducateurs doivent s'efforcer d'insérer cette catégorie de citoyens dans la société". À cet effet, M. Achi souligne que "le centre d'accueil est appelé à tisser des liens sociaux avec son entourage, à être en relation continuelle avec le milieu scolaire et les centres de formation professionnelle. De leur côté, les enfants assistés sont tenus de faire fusion avec la société en prenant part aux campagnes de sensibilisation ainsi qu'aux différentes activités de proximité. Ils doivent rendre conséquent l'intérêt que leur portent les multiples associations, les responsables en exercice et même ceux ayant déjà quitté leurs fonctions, et autres citoyens". Le DAS a, par ailleurs, exprimé sa satisfaction de voir les pensionnaires de la pouponnière de Aïn Touta se distinguer par la réussite de leur scolarité. Une réussite qui constitue, quand même, une touche d'optimisme sur un tableau noir ! Le test ADN seule alternative pour prouver la filiation paternelle La réussite à l'école sera, pour F. S., une mère célibataire, l'atout qui permettrait à son fils d'affronter la vie. Ce petit se retrouve perturbé du fait qu'il n'a même pas le droit de jouer avec les enfants du village. Ceux-ci ne manquent jamais l'occasion de l'insulter en usant de termes cruels. "Dis tata, c'est vrai que je vais avoir un papa comme les autres", dit ce garçon de dix ans à l'avocate chargée de défendre son droit à porter le nom de son géniteur. La mère, bien qu'elle vive dans un milieu rural où une situation comme la sienne est invivable, a décidé de garder son enfant. Démunie matériellement, elle exécute de lourdes tâches ménagères, dans des foyers, depuis dix ans, pour subvenir aux besoins de sa petite famille et continuer à se battre devant la justice. Procès après procès, un jugement, en sa faveur, est enfin rendu par le tribunal. Croyant voir le bout du tunnel, cette femme, accompagnée de son fils, rejoint le laboratoire central de la police scientifique à Châteauneuf, à El-Biar (Alger), à environ 400 km de son domicile. Elle règle le premier versement des frais de l'expertise avant de subir des prélèvements, elle et son enfant. Mais le père biologique présumé s'abstient de se soumettre aux tests ADN alors qu'il fut avisé par un huissier de justice. Dans des cas similaires, la requête, relative au recours à des moyens de preuves scientifiques afin de prouver la filiation, fut rejetée, d'après Me M. D., avocate à la cour. Celle-ci déclare à propos de la recherche de la généalogie génétique que l'article 40 du code algérien de la famille stipule : "La filiation est établie par le mariage valide, la reconnaissance de paternité, la preuve, le mariage apparent ou vicié et tout mariage annulé après consommation conformément aux articles 32, 33 et 34 de la présente loi. Le juge peut recourir aux moyens de preuves scientifiques en matière de filiation." Cette avocate raconte que "peu de pères assument leurs responsabilités et épousent la mère de leur futur enfant. Sont rares, aussi, ceux qui récupèrent le nouveau-né mais abandonnent la femme. Mais dans la majorité des cas, la mère est livrée à elle-même". La mère célibataire, victime, jugée responsable Les crimes de viol, la désintégration du noyau familial, une éducation défaillante, des troubles psychologiques, la sous-estimation des conséquences des troubles de l'adolescence figurent parmi les principales causes de l'ampleur que prend le phénomène des mères célibataires, selon la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH). Le bureau de ladite ligue déclare, dans un communiqué intitulé "La tragédie des mères célibataires" rendu public à l'occasion de la Journée internationale de la femme, célébrée le 8 mars, que "le parcours des mères célibataires pour se voir octroyés leurs droits reste très long et rempli de contraintes et de frustrations traduites dans une réalité humaine brisée, les rendant enchaînées devant des vagues de violences et de refus émanant d'un partenaire qui persiste à refuser son enfant et devant une famille qui incombe toute responsabilité à elle. Dans la tourmente, certaines de ces mères célibataires tentent d'éviter cette situation dramatique en recourant à l'avortement". En matière de statistiques, le communiqué fait savoir que "le nombre des mères célibataires a atteint les 10 000 cas, à raison de 1 000 cas par an". Et d'ajouter que "selon des chiffres non officiels, plus de 300 tentatives d'avortement sont pratiquées annuellement, en dehors des institutions hospitalières publiques". La même source fait remarquer que ces opérations n'aboutissent toujours pas. La LADDH suggère, à propos du phénomène, un traitement objectif de la part de la société. La Ligue réclame, par ailleurs, aux mères célibataires et à leurs enfants, le droit à la vie, à l'intégrité psychologique et physique, entres autres droits sociaux, économiques et culturels. Les répercussions psychologiques sur l'enfant banni "La peur, la honte, la mauvaise conscience et tant d'autres sentiments confus et contradictoires rongent la jeune femme durant cette grossesse non désirée. Victime d'un viol ou leurrée par un partenaire qui s'évapore du jour au lendemain, elle est abandonnée à son sort. Le stress vécu par la mère pendant neuf mois aura un impact psychologique négatif sur l'enfant à court et à long termes", regrette Fatima Bourih, psychologue. Et d'ajouter : "Le fait de se sentir banni, de ne rien savoir sur ses origines, sera très pénible pour l'enfant abandonné. Mais le pire est de subir un jour, le grand choc, dans le cas où il n'a pas été mis au courant de la réalité. Là, c'est toute sa vie qui risque de basculer. C'est pourquoi on conseille toujours à la famille d'accueil de dire la vérité à son protégé, bien qu'elle soit douloureuse. Et le plus tôt sera le mieux." Mme Bourih déplore le regard d'une partie de la société qui fragilise encore la santé mentale de cet être déjà dans la tourmente. Le sujet abordé par la psychologue, à savoir l'équilibre psychologique, nous ramène à relater, ici l'histoire, d'une jeune fille née d'une relation illégale. Nous l'appellerons Ouarda. Car c'est une fille dans la fleur de l'âge. Dans sa tête, elle a pris sa revanche sur la société qui lui fut hostile. Diplômée en médecine, elle est recrutée à l'hôpital de la ville où elle exerce pendant près de cinq ans. Elle finit par retrouver son père. Désormais, son badge portera le nom de sa famille d'origine. Elle rencontre son âme sœur et se fiance. Le bonheur est là, à bout de nez. Non ! La déchéance est là, à bout de nez. Dénoncée parce que son diplôme est falsifié, elle est recherchée par les services de sécurité. Elle s'enfuit, se terre. Sa mère adoptive se bat pour elle. Ses avocats se démènent afin de la sortir du marasme dans lequel elle s'est fourrée. Le juge, tenant compte des circonstances, est clément. Elle s'en sort avec seulement un an de prison ferme. Le père retrouvé n'est en fait qu'un fantasme. Le futur époux disparaît. Tout s'écroule sous ses pieds. Elle n'est que l'ombre d'elle-même. Elle finit par rendre l'âme emportée par une maladie cardiaque qui a surgi de nulle part. Ceux qui ont puni Ouarda, ne serait-ce que par un regard, une allusion, sont-ils conscients de l'avoir contrainte à gâcher sa vie ? L. M.