La décennie rouge des années 90, la réconciliation nationale, la vie marquée par la hogra et l'indignité, l'injustice, la vie dans les cités, le recul de l'autorité de l'Etat... sont autant de facteurs qui, de l'avis du psychiatre Mahmoud Boudarène, font que la violence en Algérie a "atteint son paroxysme" et, aujourd'hui plus que jamais, menace la paix sociale. En marge de la vente-dédicace, avant-hier, à la librairie Multilivres Cheikh de Tizi Ouzou, de son nouvel ouvrage La violence sociale en Algérie, dans lequel il aborde longuement les raisons de l'émergence et de la progression de la violence dans le pays, le Dr Mahmoud Boudarène a, d'emblée, prévenu que "la violence telle qu'elle évolue dans notre pays met réellement en danger la paix sociale". "La violence va crescendo, et lorsqu'elle atteint son summum, on se retrouve dans une situation d'anomie, c'est-à-dire ce désordre particulier qui caractérise une société et qui fait qu'il n'y a plus aucun mécanisme régulateur qui peut apaiser, et de ce point de vue-là, la paix sociale est menacée. Et quand un désordre institutionnel est ajouté à cela, le danger devient plus important", a-t-il expliqué, non sans épingler le pouvoir politique auquel il impute la responsabilité de la violence politique qui a commencé à sévir dans le pays avant même l'indépendance. "L'assassinat d'Abane Ramdane est un moment-clé dans le processus de progression de la violence sociale en Algérie. C'est ce meurtre originel, ce fratricide, qui a profané la Révolution et qui a rendu faciles tous les autres meurtres et toutes les autres dérives", a-t-il soutenu. La fermeture du champ politique n'est également qu'une déclinaison de cette violence politique qui est à l'origine du terrorisme. "Le terrorisme est une violence subséquente à la fermeture du champ politique et à la violence infligée par le pouvoir au peuple algérien, laquelle violence continue de sévir encore aujourd'hui", a-t-il affirmé, tout en réfutant l'idée qui présente le peuple algérien comme un peuple violent d'une manière atavique ou par hérédité. "L'Algérien n'est pas plus violent que le Suédois, le Danois ou l'Allemand, c'est petit à petit qu'il a été conduit à devenir violent. C'est le fruit du mépris, de l'injustice, de la pauvreté, de l'humiliation...", a analysé ce psychiatre qui, à l'opposé des hommes du pouvoir, n'hésite pas à classer la réconciliation nationale dans le registre des facteurs de violence. "La réconciliation nationale telle qu'elle a été promulguée était juste. On a dit que les gens coupables de meurtre devaient payer, mais après, il y a eu dérive. On a laissé la porte ouverte et on a décidé de pardonner à tout le monde. Or, déjà s'il y a lieu de pardonner, c'est la victime qui doit le faire après avoir recherché la ressource psychologique qui lui permet de faire son deuil. On n'a fait, en réalité, que mettre le couvercle sur la marmite, et celle-ci a continué de bouillir. Or, quand on veut tourner une page, on a besoin de comprendre ce qui s'est passé", a-t-il analysé, tout en plaidant pour une catharsis sociale qu'il juge indispensable, mais qu'il qualifie, toutefois, d'impossible dans la situation actuelle. Ce qui pourrait, craint-il, générer d'autres violences à l'avenir. D'autant que le peuple algérien vit constamment dans un climat anxiogène jalonné de violences que le pouvoir nourrit, exacerbe et manipule. Et en raison de la situation économique actuelle du pays qui ne manquera pas, dit-il, d'entraîner une dégradation de la vie sociale, le risque de violence devient plus important, surtout, estime-t-il, que le pouvoir ne veut pas associer la société au débat, mais continue plutôt dans le mépris, le déni et l'autoritarisme et, pis encore, tient un discours inquiétant. Samir LESLOUS