En confirmant 41 cas de choléra dans quatre wilayas, le ministère de la Santé, et en attendant les résultats des analyses, dit plutôt privilégier l'hypothèse d'une contamination via les aliments. Cette probabilité peut s'expliquer par les récurrentes vagues d'intoxication alimentaire qui alimentent les hôpitaux du pays, principalement l'été. Et l'aliment le plus enclin à être le parfait coupable est le citrullus lanatus, nom scientifique de la pastèque. En 2015, Liberté est revenu, dans une enquête, sur les dangers de la consommation de la pastèque "made in bladi" tant le fruit est victime de nombreuses agressions de la part de pseudo-agriculteurs. Entre la traditionnelle irrigation aux eaux usées, en passant par un dopage au mazout ou aux fortifiants, elle charrie derrière elle de nombreux risques liés à ces pratiques frauduleuses, voire criminelles. Appelée aussi melon d'eau, de la famille des cucurbitacées, la pastèque contient jusqu'à 93% d'eau, ceci expliquant cela. Un agriculteur à Aïn El-Beïda, à Oran, nous a raconté qu'il a trouvé trois flacons d'un litre d'ADE3, un fortifiant pour le poulet de chair, à proximité d'une parcelle de terre de 3,5 hectares qu'il avait louée à des personnes de Mostaganem qui voulaient y cultiver des pastèques. "Quand je leur ai demandé les raisons de la présence de ces flacons, elles n'ont pas su quoi me répondre", nous avoue-t-il. Deux jours plus tard, ses locataires disparaîtront dans la nature laissant derrière eux un champ de pastèques pourries. "Ils déversaient ces vitamines dans l'eau d'irrigation pour accélérer la maturité du fruit", assènera-t-il sentencieusement. L'autre arnaque pratiquée par certains agriculteurs reste pour le moment très controversée. Réalité ou simple légende urbaine, l'irrigation au mazout ne fait pas l'unanimité chez les professionnels de la terre. Si certains nient cette pratique, se reposant sur la persistance de l'odeur et la nocivité du mazout sur le fruit, d'autres affirment au contraire que des pseudo-agriculteurs n'hésitent pas à utiliser le fioul pour carrément doper les pastèques. B. Mokhfi, le président de l'Irchad wa tanmia, une association agricole agréée par la wilaya d'Oran, en est convaincu. Il accuse ceux qu'il appelle les faux fellahs, venus d'un peu partout, qui louent des lopins de terre pour la circonstance et font tout pour ramasser le maximum d'argent en peu de temps. "Avant d'irriguer, l'eau passe par des fûts de mazout", affirme-t-il, le tout pour écourter la période de maturité. Il met en cause l'absence de contrôle qui doit se faire en théorie en amont par les délégués communaux. Pour les plus sceptiques, cette méthode n'est pas concevable à cause de l'odeur caractérisée du mazout. Une ligne de défense qui ne tient pas la route si on se fie à certains témoignages qui attestent de la présence d'une forte et persistante odeur de mazout une fois la pastèque ouverte. "Il m'est arrivé d'avoir affaire à ce genre de pastèques", me dira un marchand de fruits et légumes. Pour le professeur Mehali, chef du service de réanimation médicale à l'EHU 1er-Novembre d'Oran, les symptômes d'une intoxication à la pastèque avariée ne sont pas différents des autres intoxications alimentaires : "Vomissements, diarrhée, fièvre et douleur abdominale et sa sévérité dépend de la quantité des germes présents dans le fruit." Outre les pastèques dopées au mazout, leur irrigation par de l'eau usée n'est pas non plus une simple vue de l'esprit. À Sidi Bel-Abbès, par exemple, et précisément l'axe longeant l'oued Mekerra avec ses localités de Sidi Brahim, Sidi Hamadouche ou encore Zerouala, on nous certifie que "la nuit, on ne peut pas circuler même en voiture à cause des odeurs nauséabondes dégagées par les eaux noires de l'oued". Des champs irrigués en toute impunité avec des eaux usées, directement pompées de l'oued Mekerra et les tuyaux, tels des serpents silencieux, attendent paresseusement de boire l'eau de la Mekerra, la nuit tombée. "Dès que les pompes entrent en action, une odeur d'œufs pourris envahit la région", affirme-t-on. À Mostaganem, des consommateurs de pastèques cultivées dans les communes longeant l'oued Abid ont été intoxiqués durant l'été 2015, tout comme à Tiaret et d'autres coins du pays mais tant qu'il n'y avait pas mort d'homme ou d'épidémie de choléra, on pouvait encore manger une pastèque en priant qu'elle ne soit ni mazoutée ni irriguée avec des eaux usées ou dopées à des vitamines animales. Mais, aujourd'hui, c'est une tout autre histoire. Saïd OUSSAD