Liberté : La rencontre des représentants du CFCM avec le président Macron était-elle programmée de longue date ? Abdellah Zekri : Non. Le CFCM a reçu une invitation, il y a quelques jours, par mail, pour une rencontre d'une heure et demie, sans ordre de jour précis. Les membres de la délégation, dont je ne fais pas partie (le président et 4 vice-présidents), ont été désignés de manière unilatérale par le ministère de l'Intérieur. Le président du CFCM a élevé une protestation officielle. J'ai moi-même rendu public un communiqué où j'ai dénoncé cette manière de faire. Vous avez également rendu publique une lettre ouverte ou vous protestez contre une gestion coloniale de l'islam de France. Pourquoi ? Pour les mêmes raisons. Encore une fois, il n'appartient pas à des fonctionnaires de choisir qui doit rencontrer le président de la République. Mais plus généralement, nous contestons le rôle de l'Etat dans la réforme de la pratique de l'islam en France. Le gouvernement veut revoir la loi de 1905. Or, cette loi avait été votée parce que l'Eglise avait une grande influence sur le fonctionnement de l'Etat. Ce qui n'est pas le cas de l'islam aujourd'hui. Celui-ci n'a aucun pouvoir politique en France. Dans la réforme de la loi, l'Etat français entend surtout le contrôle des financements du culte musulman. Êtes-vous d'accord avec cela ? Ce contrôle existe actuellement. Toutes les grandes mosquées disposent de commissaires aux comptes. Des pays étrangers comme l'Algérie, le Maroc ou la Turquie donnent de l'argent. Mais celui-ci sert à régler les salaires des imams qu'ils envoient dans le cadre de conventions avec l'Etat français. Lorsque l'Algérie envoie de l'argent à la Grande Mosquée de Paris, via l'ambassade, celui-ci ne transite pas dans des valises, mais par le circuit bancaire classique. S'agissant des financements saoudiens, il faut savoir que ces derniers sont contrôlés. Ils peuvent servir à régler des factures pour la construction de mosquées, elles-mêmes sous contrôle. L'Etat français veut aussi avoir la main sur la formation des imams... Le problème est qu'il n'y a pas beaucoup de lieux de formation d'imams en France et les diplômés ne sont pas nécessairement recrutés dans les mosquées qui n'ont pas suffisamment de moyens pour les payer. Actuellement, beaucoup de lieux de culte disposent d'imams qui viennent des pays du Maghreb. Ils sont rémunérés par leur gouvernement. Il faut savoir, en outre, que leur profil a évolué. Nous avons affaire, aujourd'hui, à des imams qui parlent français. Ils reçoivent tous à leur arrivée en France une formation les initiant aux lois de la République, au concept de la laïcité… Si l'Etat français prend la décision d'interdire l'arrivée d'imams de l'étranger, il faudra qu'il les remplace, car il y a crainte que des mosquées soient détournées par des imams autoproclamés d'obédience salafiste. Quelles sont les revendications du CFCM concernant l'organisation de la pratique du culte musulman en France ? Nous souhaitons pouvoir décider nous-mêmes de cette organisation. Nous avons créé en juillet dernier une association cultuelle qui a obtenu un agrément de la préfecture. Cette association aura pour mission de drainer des fonds pour gérer les lieux de culte, construire des mosquées et payer la formation des imams et des aumôniers. Nous pensons par exemple à instaurer des contributions dans le cadre du hallal. Cet argent nous évitera de recourir à des financements étrangers quels qu'ils soient. Dans votre lettre ouverte, vous énumérez un certain nombre de revendications comme l'instauration de jours fériés pour les musulmans à l'occasion de fêtes musulmanes. Pensez-vous que cela soit possible ? Oui. Comme pour Noël, les musulmans doivent avoir la possibilité d'avoir des congés pour l'Aïd El-Fitr ou l'Aïd El-Adha. Il est aussi important aujourd'hui qu'ils puissent disposer de leurs propres cimetières. Jusqu'à présent, seuls des carrés musulmans existent. Or, la communauté musulmane est devenue très nombreuse. Nous sommes à trois ou quatre générations d'immigrés. Beaucoup de personnes souhaitent être enterrées en France, près de leurs enfants.