Alternant poésie et austérité du verbe selon les circonstances, l'œuvre se veut porteuse de thématiques universelles, au point où le pays dans lequel se déroulent les évènements est à deviner à travers des personnages et des bouleversements historiques. "Entre introspection et divagation, Belaskri mène l'acte d'écriture jusqu'aux lisières de la raison, là où l'émerveillement, la désillusion et l'exclusion font du poète amoureux un fou, certes vaincu, mais déterminé à poursuivre sa quête… ‘Le Livre d'Amray' est celui de l'amertume qui persiste et de la poésie qui refuse d'abdiquer…" Voilà, résumée dans une critique de Khalid Lyamlahi (chercheur à l'université de Chicago), la quintessence du livre de Yahia Belaskri, Le livre d'Amray, paru en 2018 chez Zulma (France). Alternant poésie et austérité du verbe selon les circonstances, l'œuvre se veut porteuse de thématiques universelles, au point où le pays où se déroulent les évènements est à deviner à travers des personnages et des bouleversements historiques. Mais, nous savons qu'Amray "est né avec la guerre, entre le souffle du chergui et les neiges des Hauts-Plateaux". Roman triste, à l'image de ses récits, comme celui du père qui a fait les deux guerres mondiales au service de la France et qui se fait humilier par des soldats français durant la guerre d'Algérie. Lorsqu' il se plaint du traitement et qu'il brandit sa qualité d'ancien combattant, un militaire lui dit : "Tais-toi sinon je t'enfonce le canon dans ta bouche." Cela a dû le torturer jusqu'à sa mort. Comme souvent à l'époque, la mère se maria très jeune : "Dans la souffrance et la résignation, cette pauvre paysanne de treize ans à peine devient vite une mère-courage élevant ses enfants dans la dignité des ancêtres." Humaine, généreuse, et porteuse du bon sens populaire, elle veut transmettre ces valeurs à son fils, qui étaient d'ailleurs celles de son père. Elle l'invite à la tolérance, à percevoir les réalités humaines "sans haine ni préjugés". Après l'indépendance, il y eut quelques messages de haine contre les juifs dont le père d'Amray ne disait jamais du mal. "Tu te rappelles mon amie Aouicha qui venait souvent manger chez nous, elle était juive. Et Shlomo, le fils du rabbin ? C'est ton frère de lait car il a tété mon sein. Juif, chrétien, musulman, il n'y a aucune différence. Chacun prie Dieu à sa manière ! N'écoute pas les sornettes, c'est de la politique. Que Dieu apaise les cœurs !" Et son histoire à lui, Amray ? Son nom vient de tayri (amour) et signifie l'amoureux. Il connait ses origines et se revendique de la Kahina, de saint Augustin et de l'Emir Abdelkader. Poète dans l'âme, il souffre du départ de ses amis d'enfance et surtout d'Octavia, celle à travers laquelle "ses yeux voient le monde". Hypersensible à l'instar de tous les poètes, Amray vit comme de véritables violences les abus des pouvoirs successifs, les dénis de liberté du système du parti unique, le dévoiement de l'école confiée à des charlatans venus du Moyen-Orient pour mener une arabisation au rabais. L'intolérance, l'inculture, les privations de liberté et enfin les violences d'octobre 1988 finissent par avoir raison de lui. Fou, l'était-il réellement ? "Ma déraison est un étendard devant la cruauté et la laideur du monde. Parce que je refuse d'oublier ce qui m'a été arraché. Parce que je suis un homme et qu'aucune humiliation ne m'a été épargnée, je suis de toutes les démences, celles d'hier et à venir. Et si la démence vous effraie, c'est parce qu'elle dévoile ce que vous ne supportez pas de voir, votre déchéance… Nulle part les rêves n'ont déserté les hommes sauf en vos lieux." Né à Oran en 1952, Yahia Belaskri est un sociologue, journaliste et nouvelliste algérien vivant en France.
ALI BEDRICI -Le livre d'Amray, de Yahia Belaskri, éditions Zulma, 144 pages, 2018.