Dans cet entretien, le président du Cluster algérien des fruits et légumes à l'export, Toufik Hadkeheil, estime que l'activité de l'export est balbutiante, donc plus fragile. À ce titre, il expose une série de mesures susceptibles de donner un nouveau souffle à l'activité. Liberté : L'année 2019 devait être celle des exportations hors hydrocarbures, mais le constat est que ces exportations ont diminué. Comment expliquez-vous cette tendance ? Toufik Hadkeheil : Actuellement, le monde des affaires en Algérie ne fonctionne pas à sa vitesse de croisière. La raison principale est due aux échéances électorales qui arrivent à grands pas. Ce phénomène est observable dans tous les pays du monde. Les opérateurs économiques rechignent à investir, ne sachant pas qui va diriger le pays après les élections. Et comme notre régime est un régime présidentiel (par opposition au régime parlementaire), ce qui signifie que c'est le président de la République qui dicte les grandes lignes de l'économie de notre pays pour les 5 prochaines années, les investisseurs préfèrent patienter et savoir quels choix économiques va prendre la nouvelle équipe. Dans le cas de l'export des fruits et légumes, notre activité est balbutiante, donc encore plus fragile que les autres secteurs. Nous profitions justement de cette période pour améliorer ce qui peut l'être. Pour information, les cours des énergies fossiles sont de plus en plus volatils en raison de la géopolitique mondiale. La seule et unique manière d'apporter un complément financier important et durable pour le pays est celui de l'export des fruits et légumes. Le retour sur investissement est très rapide. En tant qu'exportateur de fruits et légumes, quels sont les freins liés à l'exportation dans cette filière ? Il y en a plusieurs, mais la tendance va vers l'amélioration. En effet, nous avions demandé la mise en place d'un couloir vert pour les fruits et légumes, il y a de cela une année. Ce couloir vert est en cours de finalisation par la douane algérienne et ne saurait tarder à être mis en place. Cette facilitation permettra aux exportations de fruits et légumes d'être exonérées de fouilles systématiques et donc de ne pas dégrader le produit lors de phases d'ouverture de containers. Pour la datte, le couloir vert est effectif. Nous avons bon espoir à ce qu'il soit mis en place dans les prochaines semaines. En second lieu, je mettrais l'accent sur le fait qu'il est impératif de réserver des terres agricoles uniquement pour l'exportation. À titre d'information, le Maroc a mis en place des terres seulement pour ce secteur d'activité. Actuellement, ils en sont à plus de 5 milliards de dollars d'exportations juste pour les fruits et légumes. Dois-je vous rappeler qu'un baril de pétrole coûte actuellement dans les 65 dollars et l'équivalent d'un baril de courgettes en termes de poids coûte 166 dollars. Le raisonnement est vite fait. Le pétrole ne va pas rester éternellement, alors que la terre est une ressource qui peut durer très longtemps et rapporter beaucoup si on sait comment gérer le tout. La logistique pèche énormément chez nous ; les prix appliqués sont très chers. Nous avons besoin de l'équivalent d'un port à l'image de celui de Tanger Med pour pouvoir être compétitifs. Ce projet est à l'état embryonnaire et nous souhaiterions qu'il soit mis en place rapidement. Cela va contribuer à faire baisser les coûts de logistique et aussi augmenter les volumes d'échanges, car nous deviendrons un carrefour important entre l'Afrique, l'Europe et le reste du monde. L'Algérie n'est-elle pas sur la route de la soie, un accord a été signé entre l'Algérie et la Chine sans oublier celui relatif à la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine), et donc nous devrions en profiter, à nous de nous préparer pour que nous puissions en tirer un maximum de profits. En tant que cluster des fruits et légumes à l'export, quels serait, selon vous, la démarche idoine pour pouvoir placer nos produits à l'international ? Il y a plusieurs axes sur lesquels nous devons travailler, le premier concerne la certification des fruits et légumes. La société LSQA Middle East est présente en Algérie. Elle est de droit algérien et gérée à 100% par des ingénieurs agronomes algériens expérimentés. Elle va nous permettre de certifier nos produits frais à l'export par le biais de Global Gap. Une référence mondiale qui permet d'avoir un produit certifié contenant plusieurs avantages dont celui d'obtenir une standardisation dans les caractéristiques de production d'un produit. En second lieu, l'amélioration des conditions de travail des employés sur site. Aujourd'hui, l'acheteur attache énormément d'importance aux conditions sociales de son sous-traitant. Les conditions de stockage des produits utilisés sont un aspect qui est pris également en compte. Toutes ces choses font qu'un exploitant agricole, lorsqu'il est certifié, pénètre plus de marchés et vend son produit plus cher. En hissant les standards vers le haut, les consommateurs locaux et étrangers bénéficieront d'un produit sain et cela permettra d'améliorer la chaîne des valeurs alimentaires. Pour pouvoir placer nos produits à l'international, nous nous devons de commencer à nous unir. À l'heure actuelle, il n'y a aucun exportateur algérien capable de fournir des grandes marques de la distribution à lui seul en fruits et légumes, c'est pourquoi nous devons standardiser notre manière de produire, de conditionner et d'exporter nos produits. Nous avons comme objectif prochain de rassembler l'ensemble des agriculteurs exportateurs et conditionneurs désirant poursuivre cette aventure de l'export afin de ne parler que d'une seule voix. Si les Marocains ont réussi le pari de l'export, c'est grâce au fait principalement qu'ils se sont unis et aussi grâce au soutien franc et massif de leur Etat.