La pêche a, pendant presque 40 ans, été la cinquième roue de la charrette économique. Si l'embellie n'est pas encore visible, l'avènement d'un vrai ministère du secteur est en train de poser les bases d'une autre façon d'appréhender la mer. On commence aussi à penser à la pêche continentale, à l'aquaculture, voire à l'importation. 565 projets concrets ont déjà démarré. Bientôt nos marchés sentiront l'iode, assure Smaïl Mimoune, ministre de la pêche et des ressources halieutiques, qui nous a accordé cet entretien. Liberté : M. le ministre, est-il juste de dire que les algériens vivent le dos tourné à la mer ? Smaïl Mimoune : Oui, nous avons donné du dos à la mer pendant une très longue période. Le secteur de la pêche a accusé un énorme retard dû essentiellement à une instabilité tutélaire chronique. On l'a alternativement rattaché à l'agriculture, au transport, à une agence nationale, etc. Depuis le 25 décembre 1999, on a eu la bonne volonté de le hisser au rang de département ministériel. Dès lors, le constat a été vite fait : notre flottille était obsolète, vétuste. Tous nos bateaux avaient une moyenne d'âge qui dépassait le quart de siècle. C'est tout l'outil de production qui était inefficace. De plus, on a vite remarqué qu'il y avait un manque de professionnalisme évident. On fonctionnait à l'atavisme. La pêche, chez nous, a toujours été côtière et artisanale. On n'a jamais fait de pêche hauturière qui, elle, est rentable et fructueuse. Pourtant, un projet de lancement de la pêche hauturière a bien existé dans les années 1980… Il n'a pas été suivi d'effets. il est mort-né. Revenons aux constats faits avec l'avènement du ministère de la pêche et des ressources halieutiques. En plus des carences de la flottille, on s'est rendu compte qu'il n'y avait pas d'outil juridique véritable régissant l'exercice de la pêche. D'où les pratiques illicites… Le 3 juillet 2001, on a fait voter une loi qui fixe les droits et devoirs de chaque acteur du secteur. L'objectif étant de l'emmener à intégrer l'économie nationale, une fois réhabilité. Sur le marché, il y a si peu de poisson qu'on est tenté de dire, avec nos marins, qu'il a déserté nos côtes… C'est faux, il y a du poisson et la campagne d'évaluation des ressources que nous avons menée avec les Espagnols l'a démontré. Nous sommes, en matière de ressources, aux tout premier rang avec une masse pélagique de 500 mille tonnes et un stock pêchable annuellement de 160 mille tonnes. Nous en produisons aujourd'hui 139 mille tonnes. Nous avons, par ailleurs, élaboré, toujours en collaboration avec les espagnols, un outil précieux : une cartographie de nos côtes très précise, avec les coordonnées des lieux où se trouve le poisson (et les crustacés). Ce travail précise jusqu'au rendement horaire par bateau. Cela nous a permis de savoir ce qu'il faut comme embarcations pour exploiter nos richesses halieutiques. On peut aujourd'hui optimiser la production sans tarir la ressource. parallèlement à toutes ces opérations d'évaluation, nous avons recherché des mécanismes incitatifs à l'investissement. On s'est rendu compte, par exemple, que la pièce de rechange était inexistante en Algérie, il n'y a même pas de comptoir de vente. Il n'y a pas plus d'industries de transformation, d'usines à glace. Il y avait encore moins de besoins d'acquaculture. Pour les investissements, nous encourageons la diversification des activités de façon à réaliser l'adéquation entre les projets. Si tout le monde va vers les chalutiers et les sardiniers, on ne s'en sortira pas. Dans le cadre de la relance économique, votre département a bénéficié de 9,5 milliards de DA. qu'en avez-vous fait ? Nous avons déjà soutenu 565 projets aussi divers que l'acquisition de chalutiers, sardiniers, petits métiers et, pour la première fois en Algérie, de thoniers. Nous avons encouragé la création de fermes aquacoles et les unités de transformation, les complexes de chaînes de froid. Les bateaux nouvellement acquis ont des équipements ultramodernes (sonars, sondeurs, antennes VHf…) qui permettent une rentabilité plus accrue. Il a fallu avec la nouvelle donne revoir le système de formation. Le statut des écoles d'El Kala, Collo, Annaba, Alger, Béni Saf, Oran et Cherchell a été modifié et agréé par le conseil du gouvernement, en février 2004. Les nouveaux cycles de formation ont déjà commencé. La rumeur publique est très persistante. Le poisson noble et les crustacés ne rentreraient qu'en infime partie dans nos pêcheries. L'essentiel se vendrait en mer et en euro… Oui, cela existe. Mais, il faut savoir que les transactions au large, la pêche illicite, la pêche à la dynamite et l'incursion des armateurs étrangers dans les eaux territoriales de pays tiers sont des fléaux mondiaux auxquels, avec la FAO, nous tentons avec quelque réussite de nous attaquer. Le rôle de nos gardes-côtes est précieux et appréciable à cet égard. Vous nous parliez tout à l'heure, M. le ministre, de ressources abondantes, le marché du poisson tend à démentir cette affirmation tant il est rachitique. Tout cela n'est pas visible. Certes. Et l'explication est toute simple : la production est trop faible. nous avons découvert 250 000 ha nouveaux de zones de pêche qui n'ont jamais été exploitées. Par ailleurs, le peu que nous produisons est englouti, pour l'essentiel, par l'hôtellerie dont l'infrastructure s'est considérablement développée ces dernières années. Le stock pêchable est constant, alors que la demande, et à n'importe quel prix, est croissante. La mer ne peut donner que ce qu'elle peut offrir. C'est la raison pour laquelle nous cherchons d'autres sources de production, dont l'aquaculture n'est pas la moindre. L'Espagne, qui est le 2e consommateur de poissons au monde, est obligée de recourir à l'importation pour respecter le ratio alimentaire de ses citoyens. L'Egypte importe 4 000 tonnes de poissons par an pour nourrir ses touristes. Pourquoi ne recourions-nous pas, nous aussi, à l'importation. L'algérien est frileux, il n'aime pas le surgelé. Tout le monde veut du frais. La production étant faible, les prix élevés, l'algérien en est réduit à consommer 5 kg/an (ce qui est en-dessous de la norme mondiale, soit 6,2 kg/an/hab). Supposons que l'on veuille faire manger 12 kg/an de poissons à l'algérien. La mer offrirait 7 kg, c'est un exemple, où aller chercher les 5 kg restants ? L'aquaculture et l'importation s'imposent d'elles-mêmes. avec l'accord avec l'union européenne et la future adhésion à l'OMC, les prix devraient baisser. Cette question de prix tient aussi aux mentalités. Ici, elle sont spéculatives. Prenez l'exemple de ce Hadj Salah de Tipasa qui vendait dernièrement la sardine à 12,50 DA. Ce n'est pas de la folie, cela s'appelle de l'honnêteté. Il y a un long travail d'éducation à accomplir. De toute façon, la question des prix ne relève pas de moi. Mon secteur est chargé de la production. une fois arrivé au port, le sort du poisson ne me regarde plus. Il en est de même de l'hygiène. Souvenez-vous des agents municipaux qui venaient, dans le temps arroser, de Crésyl les étals de sardines à partir de 11h du matin… M. O.