Au 46e vendredi de marche à Alger, les manifestants, qui ont investi par milliers le centre de la capitale, ont complètement zappé la nomination du nouveau gouvernement, maintenant ainsi le cap sur l'essentiel : « Abane (Ramdane ndlr) nous a légué une mission ; Etat civil et non militaire». Le hirak entame en force l'année 2020. Ce vendredi, peu avant midi, des dizaines de manifestants sont regroupés à l'Avenue Victor Hugo, au coin de la rue Didouche Mourad. Les policiers, stationnés un peu plus haut, du côté du siège du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), se dépêchent illico sur le lieu du rassemblement. Ils sont visiblement pris de cours. Ils se positionnent aussitôt pour boucler le périmètre. Les hirakistes sont plutôt détendus. En attendant l'arrivée de la grande foule, ils échangent sur «l'impératif changement du système». La nomination du nouveau gouvernement, la veille, ne semble pas trop les emballer. C'est la libération du reste des détenus d'opinion qui occupe l'essentiel du débat. Un peu plus bas, en allant vers la Place Audin, de petits groupes de manifestants se constituent au fur et à mesure. En famille et entre amis, des citoyens sont assis sur les marches des entrées des immeubles à attendre le début de la grande manifestation. Certains portent le drapeau national sur les épaules, d'autres le portrait du martyr Abane Ramdane à la main. C'est alors qu'un groupe d'une centaine de manifestants arrivent de la grande Poste, scandant «Abane khelana w'ssaya, dawla madania machi 3askaria (Abane nous a légué une mission, Etat civil et non militaire ndlr)». D'autres agents de l'ordre, jusque-là retranchés dans leurs blindés, se mettent à leur tour en position. C'est déjà le début de la marche et l'horloge affiche à peine 13h. A la Grande Poste, par contre, c'est un autre décor. Une atmosphère quelque peu tendue y règne. Un dispositif sécuritaire impressionnant boucle les lieux, et les policiers sont un peu plus sur les nerfs comparés à leurs collègues de la rue Didouche Mourad. La rumeur de l'arrivée du moudjahid Lakhdar Bouregâa, libéré la veille de prison, a fait affluer beaucoup de monde vers la place emblématique du hirak. Les jardins et les espaces publics où notamment les vieilles dames et les vieux messieurs se détendaient d'ordinaire, pendant les marches, sont quasiment quadrillés. Pendant ce temps, un slogan est entonné en boucle «dawla madania machi 3askaria (Etat civil et non militaire». Mais voilà qu'un brouhaha provient de la Rue Didouche Mourad. C'est la grande foule de 14h. Une marée humaine déferle sur la grande poste, rendant hommage aux deux révolutionnaires de la guerre de libération nationale, Mohamed Khider et Abane Ramdane. Pis encore, «dawla madania machi 3askaria». De l'autre côté de l'imposant bâtiment de la Grande Poste, des dizaines de citoyens sont accrochés au balcon de l'avenue Mostefa Ben Boulaid. Ils attendent l'impressionnante procession de Bab El Oued et de la Casbah qui se fait encore désirée. Elle ne tardera pas, cependant, à faire son entrée en scène, rue Asselah Hocine. Simultanément, des centaines de manifestants, en provenance de Belouezdad et du 1er Mai, engagent l'Avenue Colonel Amirouch. Le centre de la capital est noir de monde et l'ombre d'Abane Ramdane plane pour le deuxième vendredi consécutif : «Etat civil et non militaire». Mehdi Mehenni