Une chute des réserves en devises à moins d'une année d'importation accélérera le retour aux contraintes d'un ajustement structurel forcé. Bon an, mal an, les réserves officielles de change, qui sous-tendent la solvabilité extérieure du pays, continuent à s'éroder à un rythme d'au moins 20 milliards de dollars en moyenne, d'un exercice à un autre. À fin 2019, le stock de cette épargne en devises chute ainsi à un niveau de 62 milliards de dollars, contre un plus haut d'un peu plus de 194 milliards de dollars atteint juste avant le début de la crise pétrolière de la mi-2014. Accumulé sur plus d'une décennie par la seule grâce d'un baril à plus de 100 dollars, ce matelas de devises s'effiloche tout naturellement avec la fin du pétrole cher, mais aussi en raison de l'absence cruelle d'alternatives, ou même de compléments suffisants, à la rente volatile des hydrocarbures. Au bout de six années de basse conjoncture pétrolière, l'Algérie s'apprête ainsi à retourner à la case départ, avec un nouveau cycle de crise qui commence désormais à s'installer et, au bout, la perspective proche d'un retour à un statut de pays endetté et à très faibles réserves officielles de change. Les projections tracées en ce sens par les pouvoirs publics indiquent déjà que même en opérant certains ajustements graduels sur la dépense à l'importation pour freiner le creusement du déficit de la balance des paiements, les réserves en devises continueront tout de même à s'éroder à un rythme proche de 10 milliards de dollars en moyenne annuelle, jusqu'à atteindre dans les deux années à venir des niveaux de moins de 10 mois d'importations, soit moins de 40 milliards de dollars. À l'horizon de 2023 anticipaient, pour leur part, les rapports du Fonds monétaire international (FMI), l'encours des réserves officielles de change de l'Algérie pourraient même baisser à moins de 12 milliards de dollars, soit un niveau de couverture d'à peine deux à trois mois d'importations. Alors que les prévisions les moins pessimistes misent sur une stabilisation à moyen terme des prix du pétrole à des niveaux de 60 dollars le baril tout au mieux, les recettes d'exportations globales à prévoir pour l'Algérie durant les quelques prochains exercices resteront, à tous les coups, trop insuffisantes pour enrayer les déficits externes et empêcher ainsi la poursuite de l'érosion des réserves en devises. Probablement trop tardives, les mesures promises récemment à travers le plan d'action du gouvernement pour réduire les importations et améliorer les exportations, afin d'atténuer ainsi graduellement le déséquilibre de la balance des paiements, sont considérées en tout cas trop aléatoires pour permettre une stabilisation du niveau des réserves de change, dès lors que la politique budgétaire en place reste expansive. Même si elles sont effectivement nécessaires, les ajustements annoncés par le nouveau gouvernement pour freiner les déficits externes "ne peuvent aboutir du jour au lendemain", estime, en ce sens, l'économiste et ancien gouverneur de la Banque d'Algérie (BA) Badre Eddine Nouioua. Selon lui, "le niveau actuel des réserves de change peut être considéré comme relativement satisfaisant", mais sa stabilisation nécessite des actions plus efficaces pour créer des conditions favorables à l'investissement, réduire les dépenses à l'importation et contrer les pratiques de fraude et de surfacturation. Dans l'absolu, relève notre interlocuteur, tant que l'encours global des avoirs du pays en devises ne chute pas à l'équivalent de moins d'une année d'importation, la situation économique peut demeurer encore tenable. En revanche, si le stock des réserves de change chute à des niveaux "inférieurs à 20 milliards de dollars, soit l'équivalent d'à peine 3 mois d'importation, l'Algérie, prévient le même expert, risque de retomber aussitôt sous les contraintes de l'ajustement structurel pour pouvoir accéder à des financements extérieurs, surtout si ses entrées en devises sont insuffisantes pour couvrir ses différents besoins". Un scénario qu'il faut à tout prix éviter pour ne pas avoir à revivre une situation de crise similaire à celle des années 1990, conclut l'ancien gouverneur de la Banque centrale. Encore faut-il que l'Exécutif en place prenne réellement la mesure du caractère urgent d'amorcer des réformes structurelles véritables et d'en fixer des échéances, des moyens et des objectifs autrement plus précis et plus clairs que ce qu'est promis vaguement dans son plan d'action.