La traductrice Lamis Saïdi se donne pour mission de tirer de l'oubli l'œuvre poétique et la dimension humaine et militante de l'écriture de la native de Batna. Le premier ouvrage des éditions Terrasses, créé ou recréé dernièrement après sa brève parution en 1953, est dédié à la poétesse et militante Anna Gréki. Dans ce livre-mémoire, c'est la traductrice Lamis Saïdi qui se donne pour mission de tirer de l'oubli l'œuvre poétique et la dimension humaine et militante de l'écriture de la native de Batna. Par le choix de cette poétesse et de ses écrits, le parti pris de Terrasses et de la traductrice est de "faire le choix à un moment donné de concentrer énergie, travail, argent pour finir de mettre au monde (ou faire renaître dans notre cas) cette littérature ne voulant plus (ne pouvant pas s'offrir le luxe de) se cacher derrière les rideaux d'une culture ‘ornement'". Et de reprendre : en d'autres mots, aujourd'hui on dirait : la littérature de ceux et celles "qui n'ont pas le temps". Pas le temps ni le privilège de faire semblant, de tout soigneusement mettre en ordre et en place pour "devenir écrivain". Colette Grégoire, qui deviendra Anna Gréki, "la colleuse d'affiches" que la France coloniale et actuelle renie encore, fait partie des "voyous de la révolution", pour reprendre l'éditeur et Jean Sénac, qui "n'essayent pas uniquement de faire face au monde", mais le "pensent" également. Une poétesse rebelle, "femme communiste osant défier la bienséance post-indépendance pour défendre l'espoir d'une Algérie plurielle de la même façon qu'elle avait défié à travers la poésie ses bourreaux ‘à l'heure de la souillure' par l'Etat français et ses chiens de garde paras", qui n'a cessé, que ce soit par l'action ou l'écriture, de défendre une cause juste, quitte à être arrêtée, torturée, expulsée d'Algérie. Et si les poèmes de Gréki renseignent d'une chose, c'est bien de son combat et de sa liberté, qu'elle arrache continuellement et quoi qu'il lui en coûte. Ce sont cette force et cette détermination qui sont d'ailleurs mises en avant à travers la sélection de poèmes qu'a faite Lamis Saïdi, qui reste fascinée à la fois par la portée poétique et la force émotionnelle qui se dégagent de ces écrits. Algérie capitale Alger et Temps forts sont les recueils traduits dans cet ouvrage. Mais nous retrouvons également des articles, des contributions et des réflexions de l'autrice sur des notions comme le combat, la langue, l'art, la vie, l'écriture, la race, la nationalité… Dans Être ou ne pas être, publié en 1965 à Alger, elle dresse un constat sur la place des écrivains d'expression française, qui sont "purement et simplement" omis du schéma littéraire. Selon elle, "trois ans après l'indépendance de l'Algérie, nous, écrivains algériens de langue française, où sommes-nous ? Tout d'abord, existons-nous en tant qu'écrivains et en tant qu'Algériens ? Oui, nous semble-t-il, dans un sens ; nous sommes algériens et nous écrivons, nous, Mammeri, Dib, Alleg, Sénac (…)." Et de poursuivre : "Non, paraît-il, dans un autre sens ; certains théoriciens nous suppriment purement et simplement parce que nous n'avons pas place dans le système de leurs théories (…) et certains parmi nous étant tués deux fois, car, outre ce défaut, ils possèdent le tort de n'être pas arabes." Plus loin et au fil des pages, des hommages sont rendus à la "rebelle". Lamis Saïdi a relevé pour ce faire celui de l'Union des écrivains algériens à travers une plaquette éditée en 1966 à l'Université d'Alger, avec la participation de Mouloud Mammeri, de Jamel-Eddine Bencheikh, de Claudine Lacascade, de Mohamed Khadda et de Jean Sénac. "D'Anna Gréki, nous n'entendons plus les chants de colère, ni les exigences, ni les espoirs têtus enfoncés au plus épais de notre impatience. On croit tout savoir de la mort, parce qu'on est résigné à tout ignorer d'elle", écrira Mammeri à l'occasion de cet hommage. Bien plus que la poésie de Gréki, cette traduction, suivie de plusieurs extraits de la poétesse elle-même et de ceux qui l'ont connue, est la bienvenue quand l'amnésie ou la marginalisation nous font oublier des figures de cette envergure.