Après l'échec de deux initiatives diplomatiques pour une sortie de crise pour la Libye, l'Egypte semble perdre patience et menace désormais de sortir la grosse artillerie pour aller au secours du général Khalifa Haftar en pleine déroute. En perte d'influence sur le dossier libyen, l'Egypte qui assiste quasi impuissante à l'inéluctable chute de Khalifa Haftar qu'elle soutient, menace d'une intervention militaire directe en Libye. Samedi soir, le président égyptien Abdelfatah al-Sissi a prévenu que "toute avancée des forces du Gouvernement d'union nationale (GNA) vers la ville stratégique de Syrte, en Libye, pourrait mener à une intervention ‘directe' du Caire". Cette sortie de l'Egypte pour le moins inattendue, cache en réalité la déroute que subit Khalifa Haftar, soutenu par le Caire, face aux forces loyales du gouvernement de Tripoli. Ce dernier — avec le soutien militaire de la Turquie — a repris déjà le contrôle de tout le nord-ouest de la Libye et continue avec détermination son avancée vers la ville stratégique de Syrte, un des derniers bastions de l'autoproclamée Armée nationale libyenne. "L'Egypte voit impuissante sa position faiblir en Libye. Les rapports de force étant en train de basculer en faveur du Gouvernement d'union nationale, reconnu par la communauté internationale. Fort du soutien militaire de la Turquie, le gouvernement de Tripoli a réalisé plusieurs succès militaires ces dernières semaines et est en passe de reprendre la main sur une bonne partie du territoire, ce qui provoque naturellement l'ire et la panique de L'Egypte, un des principaux soutiens de Haftar", analyse le chercheur en Histoire militaire, Tewfik Hamel. Pour lui, la sortie médiatique du président égyptien témoigne également de la perte d'influence du Caire sur le plan diplomatique. L'initiative politique d'Al- Sissi pour une sortie de crise en Libye, début juin, a été de ce point de vue "un flop total". Son appel à un cessez-le-feu en Libye et l'élection d'un nouveau Conseil présidentiel, sous l'égide de l'ONU, a été, rappelle-t-on, rejeté en bloc par le GNA et la Turquie, estimant que cette initiative "mort-née" avait pour seul objectif de faire gagner du temps à Haftar et remobiliser in fine ses troupes en pleine déroute. L'Algérie et les Etats-Unis avaient également opposé un "niet" diplomatique à l'Egypte sans la nommer. Une semaine plus tard, le Caire lancera une deuxième initiative diplomatique, appelant vendredi dernier, à une réunion d'urgence du conseil de la Ligue arabe sur la Libye. Une initiative qui est également en passe de connaître le même sort que la première, puisque le GNA a annoncé, samedi, son refus d'assister à cette réunion. La Libye "n'a pas été consultée" au préalable, a regretté le ministre des Affaires étrangères libyen, Mohamed Siala. "Une réunion de la Ligue arabe par visioconférence n'est pas appropriée pour évoquer des dossiers épineux qui nécessitent des discussions et des échanges approfondis", a-t-il ajouté. Selon lui, le fait de "négliger ces critères ne fait que creuser le gouffre" entre les pays arabes et "provoquer la division". Ces deux échecs consommés, le président égyptien tente semble-t-il une autre stratégie, plus agressive cette fois, en recourant à une menace directe d'intervention sur le sol libyen. Mais que vaut réellement cette menace ? "Elle est peu crédible", affirme M. Hamel, interrogé sur le sujet. "Sur le plan militaire, L'Egypte ne fait pas le poids devant la Turquie, un pays qui plus est un membre influent de l'Otan. Par ailleurs, il est très peu probable que l'Egypte réussisse à obtenir le soutien de l'Alliance atlantique afin de mener son projet d'intervention militaire à terme", même si, ajoute-t-il, les relations de la Turquie et les pays occidentaux connaissent en ce moment des tensions, avec la France et les Etats-Unis notamment. Pour M. Hamel, la menace égyptienne relève in fine "d'une stratégie déclaratoire". "Elle contient des risques importants, car si intervention il y a et qu'échec s'ensuit, l'Egypte, déjà préoccupée par ses problèmes internes, risque de voir son architecture militaire complètement déstabilisée", conclut Tewfik Hamel.