Le professeur Abdelaziz Tadjeddine, épidémiologiste, espère une transparence plus grande dans les chiffres pour que les Algériens se prennent en charge et pour qu'il y ait "une autre stratégie de riposte". Depuis plusieurs semaines, tous les indicateurs de l'évolution de la Covid-19 en Algérie sont à la hausse, battant parfois des records : le nombre de contaminations s'accroît chaque jour, ceux des hospitalisations et en réanimation et des décès également. Pour se faire une idée de la gravité de la situation, il suffit de savoir que le nombre de décès enregistrés depuis juin à ce jour équivaut quasiment à celui déploré entre les mois de mars, avril et mai. Situation "alarmante" pour les autorités nationales qui appellent la population à une plus grande vigilance et au respect strict des consignes de sécurité. Pourtant, le professeur Abdelaziz Tadjeddine, chef du service d'épidémiologie et de médecine préventive à l'hôpital pédiatrique de Canastel, à Oran, n'est pas surpris par cette montée en puissance de la pandémie, lui qui considère que l'augmentation des décès dus au coronavirus est corrélée au nombre des contaminations. "Quand les contaminations augmentent et considérant toutes les difficultés de prise en charge que nous avons, il faut compter au moins 10% des décès", déclare-t-il. Et c'est pour cette raison qu'il juge que les chiffres des décès officiels "ne sont pas réels". Il explique, convaincu, que "lorsqu'on a 500 cas de contamination, on a au moins 50 cas de mortalité". Le professeur estime, toutefois, que la cause n'est pas due nécessairement à une mauvaise volonté, mais plutôt à une mauvaise collecte de l'information. "L'information est mal collectée parce que les autorités sanitaires veulent à tout prix que ce soit seulement les personnes décédées testées positives par la PCR qui soient comptabilisés alors qu'on sait que les tests PCR positifs ne représentent que 10% des véritables contaminations." Le Pr Tadjeddine précise que "des cas de décès de personnes présentant pourtant un tableau clinique très évocateur avec le contexte épidémiologique qu'on connaît ne sont pas comptabilisés parce qu'elles n'ont pas été testées". Le professeur estime également que "ce qui était valable au début de la pandémie, soit la comptabilisation des seuls cas de personnes décèdées ayant été testées positives à la PCR, ne l'est plus depuis l'Aïd", et qu'il n'y a plus cette possibilité de faire des PCR à tout le monde. "Il faut une collecte qui soit la plus transparente possible. Or, si on ne fait pas de test PCR, il y a maldonne", dit-il en expliquant que la mortalité n'est pas notifiée de façon correcte. "Cela allait quand on avait un nombre de contaminations à deux chiffres et moins de 10 décès, mais depuis qu'on a trois chiffres, cela veut dire que les statistiques de la mortalité sont aussi élevées." Pour lui, il est impératif que les responsables du secteur révisent très vite et sérieusement les critères de déclaration des décès. Et pour cela, il préconise de considérer tous les cas suspects. "Il faut donner le nombre de décès dus au corona suspects et confirmés. On sait que pour les confirmés, c'est 10%, et on saura que le reste est mort du corona et qu'on ne les a pas testés parce que les tests n'existent pas. Et lorsque les tests sont exécutés, ils le sont sur une infime partie de la population." Le Pr Tadjeddine espère une transparence plus grande dans les chiffres pour que les Algériens se prennent en charge et pour qu'il y ait "une autre stratégie de riposte", craignant déjà une prolongation de l'épidémie. "Ce n'est demain que l'épidémie va s'arrêter, elle va nous suivre pendant encore quatre à cinq mois, au moins jusqu'à novembre." Pour lui, il est important de changer de comportement et de pratique. Il estime également que si la démarche officielle est "politiquement acceptable pour éviter la panique", il n'en demeure pas moins qu'il y a des moments où il faut responsabiliser tout le monde. "Dans cette corona, ce qui est officiel aujourd'hui peut ne plus l'être demain", dit-il en appelant les responsables sanitaires à revoir leurs positions. "Ils ont mis un logiciel en place, et ce logiciel et ses paradigmes ne sont plus d'actualité. Il faut les revoir non pas parce qu'ils se sont trompés, mais parce que la situation épidémique en mars, avril et mai n'est pas la même en juin et juillet. C'est une nouvelle réalité. Nous sommes toujours dans une première vague et nous risquons de recevoir la deuxième en pleine face à la rentrée sociale." Saïd OUSSAD