"Je suis un journaliste indépendant. Je donne des informations vérifiées et fiables. Je préserve l'unité nationale, je ne la menace pas", s'est défendu Khaled Drareni face au tribunal. Le verdict dans l'affaire de Samir Belarbi, Slimane Hamitouche et Khaled Drareni sera connu le lundi 10 août. Une déception pour les proches, les amis et les avocats du journaliste qui a passé, hier, sa 132e nuit dans une cellule au centre pénitentiaire de Koléa. Ils avaient espéré le retrouver libre, le jour même, à l'issue du procès. Khaled Drareni a prouvé, néanmoins, ce lundi, que son incarcération ne l'a guère brisé. Il est certes apparu à l'écran avec des kilos en moins. La moustache, qu'il a laissé pousser, et ses cheveux coupés à ras ont conféré à son visage un air émacié. Il a néanmoins marqué les esprits par un sourire constamment aux lèvres et une posture stoïque. Il a décliné l'invitation de la présidente de la section correctionnelle près le tribunal de Sidi-M'hamed à s'asseoir au terme de son audition. Il a choisi de rester debout, des heures durant, sans fléchir un instant. "Je continuerai à exercer mon métier comme je l'ai toujours fait". Ce sont ses dernières paroles au tribunal avant l'interruption de la liaison par vidéoconférence avec la prison. Il n'a, d'ailleurs, à aucun moment de son interrogatoire par la magistrate, renié le métier qu'il exerce depuis 2006, ni ses convictions. "Je suis un journaliste indépendant. Je donne des informations vérifiées et fiables. Je préserve l'unité nationale, je ne la menace pas", a-t-il asséné en arabe. La magistrate s'est intéressée à ses interventions sur TV5 Monde et France 24, sans une accréditation des services compétents du ministère de la Communication. Le fondateur du site électronique Casbah-Tribune lui a précisé qu'il n'était pas un correspondant contractuel de ces deux chaînes, mais un collaborateur rémunéré à la pige. Pour ce travail irrégulier, il n'avait pas besoin d'autorisation de la tutelle. Elle lui a demandé pourquoi il a voyagé en France, en février dernier, avec un billet d'avion payé par l'Institut culturel français. Il lui a expliqué qu'il a été invité par l'ONG SOS Racisme pour débattre de la xénophobie dont sont victimes les Algériens dans l'Hexagone. "C'est l'organisation qui a sollicité l'ICF, qui dispose d'un budget pour ce type d'opération, pas moi". Elle l'a acculé ensuite sur des publications sur les réseaux sociaux (Twitter et Facebook notamment), dans lesquelles il a relayé un slogan du hirak hostile au chef de l'Etat en exercice, un appel à la grève générale lancé par une organisation syndicale avant le scrutin présidentiel du 12 décembre et une déclaration du PAD (Pacte de l'alternance démocratique). Il a répliqué, qu'en sa qualité de journaliste, il a le devoir de relayer des informations collectées sur le terrain ou afférentes à des formations politiques et organisations agréés. En tant que citoyen, il jouit du droit de livrer une opinion, "sans diffamer et sans insulter". Khaled Drareni est relativement influent sur les médias sociaux, où il compte plus de 150 000 followers. Ses tweets sont souvent repris par des chaînes et des journaux étrangers. C'est ce qui explique peut-être ses tourments avec les services de sécurité puis sa détention préventive, ordonnée le 28 mars dernier par la xhambre d'accusation près la Cour d'Alger alors que le juge d'instruction près le tribunal de Sidi-M'hamed l'avait placé sous contrôle judiciaire vingt jours plus tôt. Le 2 juillet 2020, l'instance a accepté la requête de mise en liberté provisoire de ses deux co-accusés, Samir Belarbi et Slimane Hamitouche, mais a confirmé le mandat de dépôt à son encontre. "Ses droits ont été violés. Il y a un acharnement sans précédent contre lui. Il n'a certes pas été incarcéré pour délit de presse, car la loi l'interdit. Pourtant, il est poursuivi pour avoir couvert la marche du 7 mars et pour ses publications sur les réseaux sociaux. Cette affaire porte préjudice à la justice", a souligné Me Nabila Smaïl, avocate inscrite au barreau de Tizi Ouzou. "Ouvrez un accès libre aux plateaux des chaînes de télévision et des colonnes de la presse écrite, et les citoyens auront d'autres espaces pour exprimer leurs opinions que les réseaux sociaux", a-t-elle martelé devant la juge. Le collectif de défense (plus de 40 avocats constitués) s'est attelé, durant quatre heures de plaidoiries, à démanteler le dossier de l'accusation, qu'il a jugé inconsistant et truffé de vices de procédure. Me Mustapha Bouchachi a rappelé au tribunal une citation de Meriem Zerdani, une avocate et ancienne moudjahida : "Les dossiers vides sont de la dilapidation des deniers publics. On fait travailler juges, policiers et personnels pénitentiaires pour rien". Plusieurs avocats, dont Me Amine Sidhoum, ont mis en relief un réquisitoire démesuré : quatre ans de prison ferme assortis d'une amende de 100 000 dinars, et pour la première fois dans les annales des procès des activistes dans le mouvement citoyen, une déchéance des droits civiques pendant quatre ans. Si la présidente de la section correctionnelle accède à la demande du parquet ou rend un jugement plus sévère, ce sera incontestablement un coup dur pour le journaliste qui restera cloîtré dans sa cellule. Le verdict, quel qu'il soit, n'aura pas un impact aussi lourd sur Belarbi et Hamitouche, lesquels disposent de nombreuses voies de recours leur épargnant un retour potentiel à la prison. Lors des plaidoiries, les avocats n'ont eu de cesse de relever la discrimination dont est victime Khaled Drareni à différentes étapes de la procédure judiciaire engagée contre lui.