"Ce crime, comme tant d'autres commis par le régime de Boumediene, ne saurait être couvert par une autorité quelle qu'elle soit. Ceux qui ont trempé dans le crime abject d'un authentique révolutionnaire expieront, à défaut d'une justice terrestre, leur méfait devant l'inéluctable et immanente justice divine." Il y a 50 ans, Krim Belkacem, le maquisard de la première heure, membre du groupe des six mandatés par le groupe des 22 pour déclencher la révolution du 1er Novembre, congressiste à la Soummam, premier colonel de la Wilaya 3, plusieurs fois ministre du GPRA et son vice-président, premier chef de l'armée ALN, chef de la délégation aux négociations d'Evian et signataire de ces accords de paix au nom du peuple algérien ; Krim Belkacem est assassiné le mardi 18 octobre 1970 dans une chambre de l'hôtel Continental à Frankfurt. Un crime d'Etat à l'encontre d'un héros de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Un crime commandité par Boumediene et exécuté par des agents de service, indifférents à l'illégalité des missions qui leur sont confiées. Ce "faux pas" d'un régime dictatorial représente le symbole de l'élimination physique des opposants. Un crime qui reste encore couvert d'une omerta et qui, à quelques rares écrits ou déclarations timides et isolés, n'a guère bénéficié d'une mise en œuvre historienne, y compris par les intellectuels et historiens étrangers qui ne se sont jamais hasardés à aller plus loin que : Krim fut découvert étranglé dans sa chambre d'hôtel à Frankfurt. Ce crime, comme tant d'autres commis par le régime de Boumediene, ne saurait être couvert par une autorité quelle qu'elle soit. Les commanditaires, les traîtres et les ignobles assassins qui ont trempé dans le crime abject d'un authentique révolutionnaire expieront, à défaut d'une justice terrestre, leur méfait devant l'inéluctable et immanente justice divine. Forte personnalité, Krim Belkacem s'était, dès l'indépendance, opposé à la militarisation du pouvoir par les chefs de l'armée des frontières. Son opposition farouche au putsch mené par le groupe d'Oujda contre la légitimité du GPRA lui coûta son bannissement, l'exil, puis sa condamnation à mort par la cour révolutionnaire d'Oran. En effet, il faut remonter à avril 69, où à la suite d'une parodie de justice, les juges de la cour révolutionnaire d'Oran ont condamné à mort Krim Belkacem, au mépris de la justice et de la vérité, sur de faux documents, de faux témoignages et de témoins fabriqués. C'est de là qu'il faut partir, d'abord de ceux qui ont organisé la sentence de mort ; ils ont pour nom : SNP Abdelghani ! président, cdt Draia procureur ; Hachemi Hadjerès, Abdelhamid Latrèche, Makhlouf Dib et autres juges assesseurs... juges et jurés dont les consciences conjuguées ont abouti à la légitimation juridique d'un assassinat d'Etat. Après cette condamnation et l'appel au meurtre lancé par le quotidien d'Etat de l'ouest "tout Algérien se doit être l'auxiliaire de la justice en exécutant la sentence de mort en tout lieu et en tout moment" !, la chasse à l'homme pouvait commencer. Khomeyni s'en est inspiré quelques années plus tard pour ses fetwas ! Ainsi, l'assassinat de Krim n'a été possible que grâce à la conjonction de plusieurs services, certains actifs, d'autres passifs (étrangers) et la collaboration de plusieurs personnes, certains parmi les plus insoupçonnables. L'ordre donné, chacun (services officiels et parallèles) de son côté utilisa ses propres ressources, ses propres moyens, ses propres relais pour prendre contact avec Krim. Il est certain que sans toute cette armada de personnes qui ont fini par faire douter Krim des réelles intentions du régime, celui-ci ne serait pas tombé dans le piège qui lui était tendu. Lui qui était toujours sur ses gardes et en mouvement. Lorsque le 10 octobre 1970 à Lausanne un coup de téléphone lui donna rendez-vous à Frankfurt, il confia à un ami qui est venu le chercher pour le conduire à Cointrin : "Je dois me rendre à un rendez-vous mais cela m'ennuie beaucoup !" Comment ne pouvait-il pas être inquiet, lui qui savait que des dizaines de militants de son parti, le MDRA, étaient dans les geôles du régime et qu'il avait la responsabilité et le devoir d'alléger leurs souffrances en prenant langue avec le pouvoir au risque de sa vie. La France lui refuse le droit d'entrer Comment ne pouvait-il pas être inquiet, lui qui avait demandé auparavant à ses interlocuteurs de les rencontrer en France et que la France lui avait refusé le droit d'entrer alors que le visa n'existait pas encore ! La France savait-elle quelque chose ? La lettre qu'a adressée M. Buron, un des signataires des accords d'Evian côté français, au président Georges Pompidou lui demandant des explications sur le refus du droit d'entrer à Krim Belkacem est édifiante et rend compte d'une certaine complicité passive de la France dans l'affaire Krim Belkacem. Il est vrai que la France de De Gaulle avait déjà sur le dos l'affaire Benbarka où sa complicité active avec le régime de Hassan II ne souffre aucune contestation. Les autorités allemandes savaient Que dire également des autorités et de la police allemandes qui ont laissé faire, elles qui étaient certainement au courant de ce qui attendait Krim Belkacem. Pourquoi la police allemande qui connaissait l'identité des assassins ne les a pas arrêtés ? La non-intervention des autorités allemandes pour empêcher le meurtre et de laisser disparaître dans la nature les assassins identifiés est considéré comme un acte de complicité active. Donc condamnable. Ainsi, l'assassinat de Krim n'a été possible que grâce à la conjonction de plusieurs services, certains actifs, d'autres passifs, et la collaboration de plusieurs personnes parmi les plus insoupçonnables. Comme pour la tragédie nationale, le jour où la vérité, toute la vérité sera dite sur l'affaire Krim, bien des mythes s'écrouleront. Car il y a des vérités qui feront sûrement osciller le sismographe de la conscience nationale et créer un véritable malaise chez beaucoup de ceux qui se sont fait une notoriété sur le dos de Krim Belkacem. Krim Belkacem est mort tragiquement parce qu'il refusait de croire l'indépendance, avec ses idéaux de liberté et de justice pour lesquels il avait tant lutté, confisquée par le système dictatorial naissant. Il est en cela, et à sa manière, un des précurseurs de la résistance populaire, reprise à bras-le-corps par l'insurrection citoyenne du 22 Février. Comme le fit en son temps Krim Belkacem, elle s'oppose avec détermination à la politique de la force, au liberticide et à la marginalisation de la souveraineté nationale. Cette complémentarité révolutionnaire atteste que les causes nobles et justes ne meurent jamais. En ce dimanche 18 octobre 2020, comme chaque année, c'est avec beaucoup d'émotion que nous nous retrouverons à ce rendez-vous avec la mémoire et la vérité empêchée. Dans cette commémoration, l'Etat, les pouvoirs publics, le ministère des Moudjahidine, l'Organisation des moudjahidine ont toujours été totalement absents, dénotant par là l'impression du malaise de l'Etat et de ses relais devant cette affaire. La réconciliation nationale restera insuffisante si elle ne prend pas en compte ce passé, car la problématique à solutionner n'est pas comment faire oublier le passé mais comment tirer d'un tel passé un avenir ? La réconciliation nationale avec le passé ne saurait s'accommoder des tentatives de mainmise politique sur l'histoire que déjà, comme par le passé, les "blanchisseurs de l'histoire" s'attellent à nous préparer. L'histoire de notre pays, à défaut de la justice, sera-t-elle un jour capable de trancher le sort de ceux qui n'ont fait que trancher les têtes ? Sinon la réconciliation et la paix recherchées ne seraient que la tranquillité de l'ordre établi et non de la société. Enfin, l'Algérie nouvelle passe inexorablement par la réhabilitation de tous ceux qui ont été injustement condamnés, exécutés, bannis par le système. Pour Krim Belkacem, cette réhabilitation passe par le déjugement de la cour révolutionnaire. La reconnaissance de son innocence, la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat dans ce crime et enfin lui redonner la place qui lui sied dans l'histoire contemporaine de l'Algérie.
Par : Dr MOHAMED MAIZ EX-SECRETAIRE GENERAL DU MDRA