Les avocats de la défense qui s'en sont pris au procureur de la République, ont dénoncé la vacuité du dossier d'accusation et plaidé sa relaxe. Dalila Touat, enseignante de physique et détenue d'opinion à Mostaganem, n'a pas cédé un pouce de ses convictions, hier après-midi, lors de son procès au tribunal correctionnel de la ville. "Je suis une citoyenne algérienne et j'ai le droit d'exprimer mon opinion", a-t-elle soutenu depuis la prison où elle est détenue depuis le 3 janvier dernier. La jeune femme de 45 ans devait répondre des chefs d'accusation d'"outrage à fonctionnaires et institutions de l'Etat", "diffamation" et "publications portant atteinte à l'ordre public". Soit quelques-unes des charges pour lesquelles de nombreux hirakistes ont été jugés et, souvent, condamnés. Interrogée par le président sur l'opportunité des publications Facebook évoquant des personnalités publiques telles que le président Tebboune, le Premier ministre Djerad, le général en fuite Belkecir ou encore des phénomènes de société comme les cas de suicide signalés dans le corps de la police il y a quelque temps, Dalila Touat ne s'est pas démontée. "Abdelmadjid Tebboune a été élu grâce à des élections truquées... Belkecir est un général corrompu... J'ai le droit de critiquer Djerad qui est une personnalité publique... Je n'ai pas menti et je n'ai porté atteinte à la dignité de personne. J'ai exprimé mon opinion sur des questions qui concernent tous les Algériens", a-t-elle répondu en ajoutant recourir aux réseaux sociaux pour "échapper à la répression des libertés". Alors que l'inculpée s'employait à répondre aux questions du président d'audience, Me Bakouri Achour, un des 17 avocats qui ont accouru de différentes wilayas du pays "pour défendre la liberté d'expression", a brusquement lancé au magistrat : "Vous n'avez pas des questions à décharge ? Toutes vos interrogations tendent à accabler l'accusée... J'ai l'impression qu'elle est déjà condamnée...", a-t-il reproché ; ce qui a créé un moment de flottement dans la salle, que le juge a dissipé en rétorquant posément qu'il était en train d'interroger l'accusée sur les motivations qui l'ont amenée à publier les posts incriminés. Ce qui n'a pas rassuré le fougueux avocat qui a continué, pendant quelques instants, de s'interroger sur la partialité du tribunal. Une fois le calme revenu, le procureur de la République a requis laconiquement deux années de prison ferme sans argumenter son réquisitoire ni présenter les preuves retenues contre la prévenue. Ce que Me Zoubida Assoul n'a pas manqué de soulever lors de sa brillante plaidoirie. "Le représentant du parquet nous a accordé à peine quatre secondes pour requérir deux années sans prendre la peine de nous expliquer pourquoi notre cliente est en prison, ni nous exposer les éléments de preuves de sa culpabilité", a-t-elle notamment déploré. Dans son intervention, l'avocate s'est attelée à démontrer que le dossier d'accusation était bâti sur des vices de procédure qui devaient entraîner l'extinction des poursuites contre la prévenue. "Dalila Touat a été mise sous mandat dépôt au cours d'une procédure de comparution immédiate alors que tous les écrits qui lui sont reprochés remontent aux mois d'octobre et novembre. Son compte Facebook et son téléphone ont été fouillés par la police sans réquisition du parquet territorialement compétent. Et elle est poursuivie pour outrage à fonctionnaires et institutions de l'Etat sans qu'il y ait eu plainte, ce qui est en contradiction avec la loi", a-t-elle déclaré en substance. Avant de demander la relaxe de Dalila Touat ou, le cas échéant, l'annulation des poursuites pour vice de procédure, Me Zoubida Assoul est brièvement revenue sur les articles de la Constitution garantissant l'inviolabilité des libertés individuelles et collectives, que la police a foulés aux pieds dans le cas de l'accusée. Les autres avocats qui s'en sont également pris au procureur de la République, ont dénoncé la vacuité du dossier d'accusation et plaidé la relaxe de Dalila Touat. Pour eux, à l'image des autres procès contre les activistes du mouvement populaire, toute cette affaire vise le Hirak. "À travers les poursuites contre Touat, on veut tuer l'esprit du Hirak... Ce dossier constitue une violence judiciaire...", s'est notamment emporté le bouillonnant Bakouri alors que Me Farid Khemisti s'est élevé contre "une hogra" à laquelle "on n'avait pas assisté du temps de Bouteflika". Le verdict a été mis en délibéré pour la semaine prochaine.