Pour éviter le stress hydrique, les autorités ont opté pour une alternative provisoire : pomper l'eau du Sébaou qui ne peut qu'ajourner l'apparition du problème. Ayant attendu vainement le remplissage naturel du barrage de Taksebt, qui n'est désormais qu'à environ 25% de ses capacités qui sont, théoriquement, de 180 millions de m3, les autorités de la wilaya de Tizi Ouzou, d'un commun accord avec le ministère des Ressources en eau, ont opté pour la solution proposée par le laboratoire des eaux de l'université Mouloud-Mammeri, à savoir la récupération des eaux de l'oued Sébaou et leur réinjection dans ce barrage, à l'effet de tenter de repousser autant que possible le stress hydrique qui guette la région. "Une solution urgente mise en place par le ministère des Ressources en eau consiste à pomper les eaux du Sébaou pour les réinjecter dans le barrage de Taksebt. On compte récupérer un volume de 30 000 à 40 000 m3/j", a annoncé, mercredi 17 mars, le wali de Tizi Ouzou, Mahmoud Djamaâ. Concrètement, le lancement de cette opération d'urgence est fixé au 10 avril prochain et la société nationale Cosider à laquelle le projet a été confié est déjà à pied d'œuvre dans l'oued Sébaou depuis le 10 mars dernier pour réaliser la digue qui permettra la rétention des eaux et mettre en place les moyens de pompage et d'acheminement de ces eaux. Selon des informations, le site retenu pour le pompage est situé non loin du village Sikh-Oumedour, où l'Oued Sébaou est à seulement 4 ou 5 kilomètres du barrage de Taksebt, soit le point le plus proche. Mais ce projet, ainsi ficelé, permettra-t-il d'appréhender sous de meilleurs auspices l'été qui s'annonce des plus "compliqués" comme d'aucuns le redoutent ? Même le wali de Tizi Ouzou qui en a fait l'annonce ne semble pas voir dans le pompage des eaux de Sébaou une solution suffisante. "Le problème est là, l'Algérie est un pays semi-aride et les périodes de sécheresse sont devenues cycliques. Il faut que le citoyen s'accommode et s'adapte à économiser l'eau", a-t-il préconisé, précisant qu'une réunion était justement prévue pour, jeudi 18 mars, pour décider des mesures à prendre pour, dit-il, essayer de sensibiliser la population à l'économie de l'eau. Pour le directeur du laboratoire des eaux, ingénieur en hydrogéologie à l'université de Tizi Ouzou, Malek Abdeslam, qui a déjà tiré la sonnette d'alarme en janvier dernier, la situation est bien plus compliquée. "Tel que ce projet est envisagé, ce n'est pas assez ambitieux ! Dans la feuille de route confiée à Cosider, il est question de 28 000 m3/j. Or, on peut récupérer au moins 100 000 m3/j et on peut pomper jusqu'à 300 000 m3/j. À condition de mettre en place 4 à 5 conduites au lieu d'une, puis d'agir rapidement car, faute de pluviométrie, le débit de l'oued Sébaou diminue chaque jour", a expliqué cet universitaire qui estime que déjà avec 100 000m3/j, ce n'est toujours pas assez. "En temps normal, ce sont 300 000 à 450 000 m3/j qui sont pompés du barrage Taksebt. Aujourd'hui, avec des restrictions, ce sont entre 250 000 et 280 000 m3/j qui sont pompés. Donc avec ces 100 000 m3/j, on ne couvrira même pas la production journalière, même avec des restrictions. En réalité, il faudrait qu'on pompe 500 000 m3/j du Sébaou vers Taksebt pour pouvoir tenir 5 à 6 mois", analyse-t-il non sans plaider pour la réalisation de six digues de rétention au lieu d'une sur tout le long du Sébaou pour en tirer le maximum. "Ces six digues à réaliser entre Boubhir jusqu'à l'embouchure avec la mer permettront de retenir l'eau, non seulement pour le pomper vers Taksebt, mais aussi pour recharger plus facilement les nappes phréatiques et empêcher la remontée des eaux de mer", argumente-t-il, en mettant l'accent à la fois sur le caractère urgent de l'opération et les moyens à déployer à cet effet. "Dans l'oued Sébaou, il coule deux fois plus d'eau que ce qui arrive dans le barrage Taksebt via Oued Aïssi. Après les fortes précipitations de fin novembre et décembre dernier, il y avait 4 à 5 millions de m3/j qui coulaient dans cet oued, puis 2,5 millions début janvier et 1 million début février. Nous sommes à près d'un million encore aujourd'hui, mais vers fin avril, ça commencera à diminuer. Autant donc en tirer le maximum avant qu'il ne soit trop tard", a-t-il déclaré. Et M. Abdeslam de prévenir : "Sauf épisodes pluviométriques exceptionnels durant ce printemps, on risque de commencer à enressentir les effets dès le mois de mai prochain." Selon lui, avec le barrage de Taksebt, on peut se retrouver avec une autre problématique. "Plus le niveau d'eau du barrage baisse, plus la qualité de l'eau sera mauvaise et plus la charge hydraulique, elle aussi, baissera. Lorsque la qualité baisse, le process de traitement devient plus long et, par conséquent, on traite moins d'eau. Donc, nous aurons un problème de quantité et de qualité", détaille-t-il. Pour le directeur du laboratoire des eaux, la wilaya de Tizi Ouzou ne devait pas, à l'origine, compter seulement sur le barrage de Taksebt. "Hélas, à Tizi Ouzou, il y a beaucoup d'excellents forages qui ont été abandonnés parce que c'était plus facile de pomper l'eau de Taksebt que de faire fonctionner ces forages qui ont besoin d'électricité, d'entretien et de suivi. Autrement, il y a des forages, comme celui de Sikh Oumedour, où on peut tirer 10 000 m3/j d'eau et, de surcroît, d'excellente qualité", a-t-il précisé. À la place, les autorités ont préféré consacrer une enveloppe de 80 milliards de centimes pour réhabiliter 250 fontaines et réaliser 150 nouveaux captages de sources, a annoncé le directeur de l'hydraulique de la wilaya.Mais pour Malek Abdeslam, avec un déficit de pluviométrie estimé à 28% entre le 1er septembre et le 17 mars, ce n'est pas évident que la ressource soit au rendez-vous. La situation risque d'être plus complexe d'autant que le retard accusé dans le projet d'alimentation de l'extrême est de la wilaya de Tizi Ouzou par le barrage Tichy-Haf, dans la wilaya de Béjaïa, ne fait, à vrai dire, qu'alourdir la dépendance de l'alimentation en eau potable de la région du barrage de Taksebt qui est devenu, au fil des années, la source d'alimentation pour plus de 60% de la population de la wilaya. Ainsi, pour ce spécialiste en hydraulique, le risque de recourir à l'importation d'eau n'est pas à exclure. "Importer de l'eau n'est pas un drame, mais c'est une pilule difficile à avaler, et sur le plan gestion, c'est mal vu", dit-il, estimant qu'il faut, dès maintenant, prendre les mesures de restriction et tenir un langage de vérité devant les citoyens pour les faire adhérer.