Les interpellations de certains hirakistes à Oran, vendredi 23 avril 2021, les transferts d'activistes depuis d'autres wilayas qui ont suivi et l'arrestation-surprise du couple Chouicha mercredi dernier, ont enfin livré leur secret : les services de sécurité voulaient empêcher la création d'une coordination du mouvement Rachad dans la capitale de l'Ouest. C'est ce qui est ressorti, jeudi, de la première comparution d'une douzaine de personnes devant le juge d'instruction du pôle pénal spécialisé. "Nous avons été mis devant un faisceau de présomptions sur une prétendue tentative d'installation d'une représentation de Rachad qui ne repose sur aucune preuve matérielle", a estimé Me Khemisti, un des avocats de la défense qui ont assisté les suspects. Les faits de cette affaire trouvent leur genèse place du 1er-Novembre à l'occasion de la marche empêchée du vendredi 23 avril dernier. Parmi les dizaines de manifestants pacifiques arrêtés dans la violence que l'on sait, un nom attire particulièrement l'attention de la police : Yasser Rouibah, 19 ans, membre déclaré du mouvement Rachad, qui avait fait le déplacement depuis Aïn Defla pour prendre part à la marche oranaise. D'autres activistes connus sont arrêtés tels que le cyber-journaliste Saïd Boudour ou Karim Ilyes, dit "la panthère rose". Alors que l'écrasante majorité des personnes interpellées sera relâchée après le f'tour — sous la condition, pour certains, de ne pas porter plainte pour les violences subies — Rouibah, Boudour et Karim Ilyes seront gardés à vue jusqu'à leur présentation devant le procureur de la République près le pôle pénal spécialisé six jours plus tard. Leurs avocats seront empêchés de leur rendre visite au siège de la sûreté de wilaya malgré la double prolongation de la garde à vue, ce qui a ouvert la porte à toutes les spéculations. "On nous a interdit de les voir en violation de toutes les lois. Il a fallu que l'on menace de provoquer un esclandre pour que la police consente à nous ouvrir l'accès", rapportera Me Omar Boussag, outré par le fait que la police exige la présentation d'une lettre de constitution pour autoriser la visite des suspects. Entre le 23 et le 29 avril, les services de sécurité ne chômeront pas : ils effectueront des perquisitions aux domiciles de Karim Ilyes et Saïd Boudour, et feront transférer depuis d'autres wilayas plusieurs activistes qui se trouvaient à Oran le 23 avril : Mustapha Guira d'Alger, Boutache Tahar de Constantine, Khelifi Mohamed d'Aïn Defla, Jahed Zakaria de Mostaganem, notamment, rejoindront ainsi les hirakistes qui se trouvent en détention. "Comme nous n'avons pas accès aux prisonniers, nous n'avons pas encore d'informations sur ce qui se prépare mais nous sentons que quelque chose se trame", rapportera un avocat en milieu de semaine. Le mercredi 28 avril, Kaddour Chouicha, vice-président de la Laddh et son épouse journaliste de Liberté, seront interpellés et conduits au siège de la sûreté de wilaya où ils seront interrogés avant d'être relâchés en fin d'après-midi avec injonction de se présenter le lendemain matin à la première heure. Dans un post inquiet, le fils Adel alerte sur une volonté d'impliquer ses parents dans une "affaire montée de toutes pièces". Là encore, le domicile des Chouicha est perquisitionné par la police qui emporte des ordinateurs, des clefs USB et différents documents de travail. Les personnes interpellées et leurs avocats auront le fin mot de l'histoire lors de la présentation devant le pôle pénal spécialisé, jeudi dernier : toute cette agitation visait à établir des liens entre les hirakistes interpellés (et d'autres non encore entendus) dans un présumé projet de création d'une coordination de Rachad dans la région de l'Ouest. À l'issue de la première comparution, trois mandats de dépôt seront prononcés contre Yasser Rouibah, Mustapha Guira et Boutache Tahar. Saïd Boudour, Karim Ilyes et Bendella Noureddine seront placés sous contrôle judiciaire tandis que Kaddour Chouicha, Jamila Loukil, Jahed Zakaria, Yahiaoui Brahim et Belalem Imad-Eddine (deux étudiant d'Oran arrêtés mardi 27 avril) seront remis en liberté provisoire. Les chefs d'accusations portés contre eux sont lourds : il s'agit des articles 77, 78, 87, 87 bis, 87 bis 1 et 3 du code pénal qui portent tous sur des faits de terrorisme, de crimes tendant à troubler l'Etat et de complot contre l'intégrité du territoire national. Et de l'article 96, plus commun celui-là aux procès intentés aux hirakistes, qui concerne la publication ou l'exposition de documents de nature à nuire à l'intérêt national.