La plupart des responsables des syndicats autonomes restent prudents, eux qui affirment ne pas avoir été associés à l'élaboration d'un avant-projet de loi qui les concerne au premier chef. Mise en conformité de la loi avec les exigences de l'heure, levée des entraves à l'exercice syndical, arrêt de l'instrumentalisation de la justice contre les syndicalistes et consolidation des libertés syndicales : telles sont les principales attentes que les organisations syndicales autonomes nourrissent à l'égard de l'avant-projet de loi modifiant la loi 90-14 qui encadre les modalités d'exercice du droit syndical. "Il faut absolument protéger le syndicaliste contre l'arbitraire de l'administration et garantir son droit à défendre ses acquis", appellent les responsables de syndicats autonomes. Seront-ils entendus ? En tout cas, Abdelmadjid Tebboune, qui a présidé avant-hier le Conseil des ministres ayant examiné l'avant-projet de loi, a rassuré sur le fait que la révision de la loi devait "être adaptée aux résolutions du Bureau international du travail". Rappelant que "l'exercice du droit syndical compte parmi les principaux fondements de la démocratie et que la Constitution de 2020 garantit et consacre ce droit", il a, cependant, souligné la nécessité que la loi respecte "les normes de représentation effective des syndicats", veille à l'association des "syndicats sectoriels à la mise en place de mécanismes juridiques pour évaluer la performance syndicale" et permette de "distinguer l'action syndicale de la responsabilité dans la gestion et de l'appartenance politique". Bachir Hakem, responsable organique de l'Organisation des syndicats des retraités algériens (Osra), qui rappelle que l'Algérie avait déjà été interpellée par l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les modalités d'exercice des libertés syndicales, espère que la nouvelle loi garantira effectivement le libre exercice syndical conformément à l'article 69 de la Constitution. "De même que les associations, les syndicats ne sont pas soumis à un agrément mais à une simple déclaration", indique-t-il encore pour souligner "l'arbitraire" subi par l'Osra et la Confédération des syndicats autonomes (CSA), qui attendent toujours le récépissé d'enregistrement. Le syndicaliste, qui rappelle, par ailleurs, que la justice a été "instrumentalisée pour l'arrêt de grèves ou la non-application des droits syndicaux", dit souhaiter que la nouvelle loi mette fin aux privilèges dont jouit la seule UGTA au détriment d'autres syndicats souvent plus représentatifs. "L'UGTA est la seule confédération agréée en Algérie (...) Elle est considérée comme une confédération et a le droit à une fédération de retraités contrairement aux autres syndicats", dénonce-t-il. Même son de cloche du côté de Boualem Amoura, secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l'éducation et de la formation (Satef) qui, tout en dénonçant le mépris des pouvoirs publics à l'égard de la CSA, plaide pour "l'immunité du syndicaliste dans l'exercice de ses fonctions". Sur la nécessaire distinction entre l'action syndicale et l'appartenance politique, le responsable de la Satef appelle à la "dépolitisation de l'UGTA dont beaucoup de membres sont aujourd'hui députés". Prudence Boualem Amoura réclame, lui aussi, l'arrêt de l'instrumentalisation de la justice contre les syndicalistes et appelle au respect des lois de la République. Pour Lounis Ghachi, président du Syndicat algérien des paramédicaux (SAP), le problème réside dans l'application de la loi. "Même si la loi 90-14 est obsolète et doit être révisée, elle protège le droit à l'exercice syndical et garantit la protection du syndicaliste. Il se trouve que ces textes ne sont pas appliqués sur le terrain", déplore-t-il. D'où, énumère-t-il, les entraves aux libertés syndicales, l'attitude arbitraire des administrations centrale et locale face à l'exercice syndical et l'absence de protection du syndicaliste. "L'urgence est à l'application des lois", estime-t-il. La plupart des responsables des syndicats autonomes restent prudents, eux qui affirment ne pas avoir été associés à l'élaboration d'un avant-projet de loi qui les concerne au premier chef. "Nous en ignorons encore le contenu, nous sommes logiquement circonspects", avait expliqué le Dr Lyès Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), alors que le texte était examiné en Conseil des ministres. S'il a affirmé ne pas s'inquiéter d'une possible remise en cause des acquis de la loi 90-14, le responsable ne semblait pas croire que l'avant-projet aille dans le sens de la consolidation des libertés syndicales et de la protection du droit syndical. "Tant que nous n'avons pas pris connaissance du contenu du texte, nous restons réservés", a-t-il ajouté, espérant que les syndicats prendront connaissance du nouveau texte de loi et émettront leur avis avant qu'il ne soit soumis à l'APN et au Sénat. Rappelons qu'en décembre 2021, un communiqué des services du Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, rassurait en disant que les modifications, qui devaient être apportées à l'avant-projet de loi, visaient à "mettre en conformité les dispositions de la loi précitée avec les dispositions de la Convention internationale du travail 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical" et à "renforcer les droits acquis des travailleurs, en permettant aux organisations syndicales de constituer des fédérations, unions et confédérations quels que soient la profession, la branche et le secteur d'activité auquel elles appartiennent". Par ailleurs, ajoutait le communiqué, le texte devrait "consolider la protection du délégué syndical contre toute décision de licenciement arbitraire, ayant un lien avec l'exercice du droit syndical, et prévoit des mécanismes supplémentaires devant permettre sa réintégration légale en cas de refus manifeste de l'employeur de procéder à sa réintégration". Des dispositions qui devraient, sans doute, satisfaire les organisations syndicales autonomes. À condition qu'elles soient appliquées sur le terrain.