Le fait que l'on démarre l'année avec moins de stock que l'année dernière et d'avoir des prévisions météorologiques relativement pessimistes présage déjà d'un été plus difficile que le précédent, prévient le directeur du Laboratoire des eaux de l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, Malek Abdeslam. Alors que des niveaux de pluie ont été des plus exceptionnels durant les mois d'octobre et novembre derniers, la situation hydrique risque d'être aussi compliquée, voire pire cette année, prévient le directeur du Laboratoire des eaux de l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, Malek Abdeslam, tout en s'appuyant aussi bien sur les prévisions quant à la pluviométrie que sur les données liées à la gestion de l'eau en Algérie. "Nous sommes à la veille d'une situation très critique, sinon dans une situation encore plus difficile que celle déjà vécue l'année dernière", a-t-il affirmé, estimant que la sonnette d'alarme peut d'ores et déjà être tirée. Pourquoi donc un tel alarmisme ? Le Dr Malek Abdeslam explique, d'emblée, que le niveau des barrages est très bas, et c'est là un premier indicateur inquiétant, mais pas l'unique, dit-il. "Les importants niveaux de pluie enregistrés jusque-là sont trompeurs, et les prévisions sur la période allant de ce mois de janvier jusqu'à juin sont très pessimistes", a-t-il indiqué précisant que, déjà, depuis le 12 décembre dernier, il n'y a pas eu une seule goutte de pluie enregistrée dans le centre du pays. "Durant la dernière semaine d'octobre et tout le mois de novembre, nous avons enregistré beaucoup de pluie, beaucoup plus que d'habitude, plus que durant les inondations de Bab El-Oued. À Bouzaréah, nous avons enregistré 700 mm en novembre, et 350 mm à Tizi Ouzou, mais uniquement sur le littoral et l'eau de pluie est tout de suite retournée à la mer. Malheureusement, derrière les barrages, soit au niveau des bassins versants qui les alimentaient, nous avons enregistré très peu de pluie", a-t-il décortiqué, soulignant qu'en janvier et février, il n'y aura presque pas de pluie, et qu'en mars, les quantités attendues risquent de ne pas être suffisantes. Ce qui risque, dit-il, de compliquer davantage la situation déjà peu reluisante des barrages. "À l'Ouest, les niveaux des barrages sont déjà très bas et au Centre, leur moyenne ne dépasse pas les 17%. Koudiat Acerdoune est à moins de 5%, Keddara à peine à 20% et Taksebt à 25%. Il n'y a qu'à l'Est que les barrages sont à des niveaux appréciables tant ils étaient déjà remplis l'année dernière et le sont encore aujourd'hui à plus de 80%", a-t-il détaillé. Pour lui, cette équation, qui fait que, d'un côté, on démarre l'année avec moins de stock que l'année dernière et que, d'un autre côté, nous ayons des prévisions météorologiques aussi pessimistes, présage déjà d'un été plus difficile que le précédent. Une situation qui, de l'avis de ce spécialiste, nécessite d'agir en urgence. "Les solutions, c'est maintenant qu'il faut les mettre en place et non pas à l'approche de l'été", plaide-t-il. Cela d'autant que, selon ses explications, ni la nappe de la Mitidja ni le dessalement d'eau de mer ne pourront apporter les quantités nécessaires pour faire face à la situation. "Le dessalement a ses propres problèmes, et compter sur le dessalement n'est pas une solution sûre. Le dessalement est une option, mais pas une solution", a-t-il soutenu, tout en ajoutant, concernant la question de stockage dans les barrages, que "même s'il pleut normalement, un barrage tel que Taksebt ne recevra pas plus de 40 millions de mètres cubes, et si le scénario de l'année passée se reproduit, il ne recevra pas plus de 10 à 15 millions de mètres cubes, c'est-à-dire l'équivalent d'un seul mois d'exploitation". Et étant un barrage à vocation régionale, il risque d'être mis sous pression en cas de crise dans l'Algérois. Habituellement, explique-t-il, 300 à 400 000 m3/j sont extraits de ce barrage, et à ce rythme, sa réserve, qui est de 45 millions de mètres cubes, peut être épuisée en quelques mois. Actuellement, cette quantité est, certes, réduite à moins de 200 000 m3/j, mais elle représente à peine le débit que déverse Assif n'Ath Aïssi dans sa cuvette. "Ce qui est insuffisant car cela ne permet pas à son niveau d'augmenter considérablement", analyse le Dr Abdeslam, qui affirme, toutefois, que des solutions existent pour pallier ce déficit. "Il y a la possibilité de transférer les eaux des barrages de l'Est, mais il y a aussi des solutions locales. L'urgence est de mettre le paquet sur l'oued Sébaou pour l'utiliser comme appoint afin de relever le niveau de Taksebt, sinon, au moins préserver ce qu'il a déjà emmagasiné", a-t-il préconisé, soulignant que les travaux déjà réalisés en mars et avril 2021 sont encourageants, mais qu'en termes de capacités de transfert, cela demeure insuffisant. Selon ses explications, les deux conduites de 510 mm de diamètre utilisées permettent difficilement de transférer 30 000 m3/j et une conduite de 1 200 mm de diamètre est en cours d'installation depuis quelques jours, mais elle prend du temps et d'ici à sa mise en fonction, il y aura déjà moins d'eau dans le Sébaou. "Or, la situation urge", a-t-il jugé, avant de rappeler qu'en novembre, le débit du Sébaou était de pas moins 100 millions de m3/j, alors qu'aujourd'hui, il se situerait entre 600 à 700 millions m3/j. "Si on arrive à transférer 200 à 250 000 m3/j, soit l'équivalent de ce qui est extrait du barrage, la réserve actuelle de ce dernier pourra être préservée pour l'été. Cela peut se faire facilement d'autant que des projets de ce genre ne sont pas coûteux et peuvent être réalisés rapidement", a-t-il encore plaidé avant d'appeler à dupliquer cela dans la Soummam, la Mitidja et d'autres régions du pays. Dans ce sillage, ce spécialiste appelle également à multiplier les digues de rétention d'eaux, notamment sur l'oued Sébaou, pour freiner l'écoulement de ses eaux vers la mer et permettre ainsi d'alimenter les nappes alluviales et ainsi une exploitation optimale des nombreux forages qui existent sur les berges de cet oued — dont la qualité de l'eau est excellente — qui peuvent prendre en charge les besoins d'une bonne partie de la population de Tizi Ouzou tant certains de ces forages peuvent fournir pas moins de 10 000 m3/j. "Il y a, malheureusement, plusieurs forages qui sont à l'arrêt et qui doivent être réhabilités pour être utilisés en appoint", a-t-il déploré, avant d'appeler également à optimiser la gestion de l'eau en déclarant, dès maintenant, la guerre aux fuites qui sont de l'ordre de 60% rien qu'à Tizi Ouzou, et aussi à adopter une politique volontariste de façon à récupérer le maximum des eaux d'épuration pour les réinjecter dans l'irrigation qui est connue pour sa forte consommation d'eau.