Le phénomène hidjab, version 1980-90, qui cache le corps de la femme plus qu'il ne l'habille, est en phase de déclin dans la ville aux Sept Ponts. Le temps des akhaouat vêtues de djelbab, cette gandoura sombre, large et traînant à même l'asphalte, est, semble-t-il, révolu. En déambulant dans les artères de la ville, qu'on disait la plus conversatrice du pays, on rencontre rarement des filles accoutrées de djelbab. Pour en rencontrer quelques-unes, il faut aller du côté de la cité Kaddour-Boumeddous, plus précisément au niveau de l'université Emir-Abdelkader. Ici, les étudiantes sont astreintes, d'une façon tacite, nature du cursus oblige, au djelbab de rigueur chez les salafistes majoritaires dans le milieu estudiantin algérien. Seulement, à l'inverse de certaines idées reçues, le niqab, ce hidjab qu'on assimile au wahhabisme mais surtout aux taliban, est quasi inexistant, alors qu'il y a une décennie, il faisait des adeptes chez les futures “doctoresses ès charia”. Chez le personnel féminin de l'université, on n'est pas au “pack” khimar-pantalon de combat et trainings, comme dans les lycées des quartiers chic de la ville, mais aussi pas aux larges étoffes qui annihilent les formes de féminité. Mieux, le hidjab n'est pas obligatoire dans cet établissement qui veut assumer sa mission de pôle de diffusion d'une religion tolérante dans son essence. Alors que le port du djelbab est en net recul, un autre phénomène semble se généraliser : le port du khimar. Ce foulard, qui sert à protéger les cheveux du regard des autres, prend de l'ampleur au sein de la gent féminine indépendamment de l'âge. À l'université, au lycée, au collège, sur les lieux de travail et même dans les foyers, le khimar est presque sur toutes les têtes. Pour S., enseignante à la faculté de Constantine, “l'instrumentalisation de la religion ne peut mener qu'à des comportements hybrides, voire hypocrites. Couvrir la tête avec un khimar et porter le décolleté est l'expression même du déchirement de la société algérienne en pleine mutation et écartelée entre le désir de modernité et les pesanteurs religieuses”. Ce nouveau phénomène a plusieurs explications. La société est traversée par de profondes mutations. Le hidjab n'est plus un signe d'appartenance à un choix idéologique, mais un geste de “protection non pas contre le regard, mais les dires de l'autre”. Ce changement comportemental s'est accompagné de toute une économie : le commerce de khimar. À Constantine, au moins quatre grands magasins, tous situés sur les artères principales, se sont spécialisés uniquement dans la vente du khimar. Les prix varient de 200 à 1 000 dinars selon... la mode. Une véritable filière d'importation et de commercialisation de ce tissu s'est installée. Selon un jeune commerçant, qui s'est reconverti dans ce genre d'activité, le business du hidjab chic génère à Constantine un chiffre d'affaires supérieur à 20 milliards de centimes ! MOURAD KEZZAR