Les attentats contre le Palais du gouvernement et le siège de la Division est de la DGSN à Bab Ezzouar ont replongé les Algériens dans la peur. Fausses alertes, avertissement alarmant de l'ambassade américaine, nouvel attentat kamikaze au Maroc, depuis une semaine, la capitale est en proie à un climat d'épouvante. Des ouvriers éparpillés dans les étages du Palais du gouvernement placent des cadres aux fenêtres. D'autres au sol déchargent des vitres. Les carreaux sont acheminés par l'entrée du bureau d'ordre fraîchement cimenté. À quelques pas, en bordure d'un pavé de fleurs, des gerbes de roses sont posées. La plus grande vient d'être déposée par le Chef du gouvernement et le ministre de l'Intérieur. Elle est entourée de petits bouquets que les familles des victimes, ayant pris part à la cérémonie de recueillement, ont apportés. Des militants d'une des ailes du MDS ont aussi leur couronne. Surpris par la parade des officiels (d'autres ministres accompagnaient le chef de l'Exécutif), ils ont pensé un instant annuler cette escale et se rendre directement au commissariat de Bab Ezzouar. Mais, ils se sont ravisés. Aux environs de 11 heures, une procession à laquelle s'est jointe Chérifa Khaddar, présidente de Djazaïrouna, association des familles des victimes du terrorisme de la Mitidja, franchit le périmètre de sécurité, aux alentours du siège de la chefferie du gouvernement. Empêchés par les policiers, une heure plutôt, d'approcher les membres du gouvernement, les journalistes ont eu accès aux lieux par la suite. Outre les fleurs, des bougies allumées sont déposées sur les rebords du pavé. Une minute de silence est observée. Aussitôt après fusent des slogans hostiles au terrorisme. Le répertoire de la décennie noire est exhumé. “Dhebahine, qetaline ou qoulou moudjahidine” (tueurs, égorgeurs et se disent moudjahidine), scandent les militants du MDS. Dans la rue, encore interdite à la circulation, point de badauds. Les policiers, les pompiers et les maçons étant les uniques spectateurs. La commémoration se déroule presque à huis clos. Mercredi dernier, presque à la même heure, à cet endroit précis, des morts gisaient sur le sol. Des employés du Palais du gouvernement, des agents de sécurité postés à l'entrée notamment, des automobilistes et des piétons étaient soufflés par l'explosion de la voiture piégée. Kamikaze malgré lui, son conducteur était sacrifié par ses pairs. Selon le ministre de l'Intérieur, un système de télécommande avait été actionné à distance. Dans les débris, la suie et la poussière, les secours ont extirpé les dépouilles d'une trentaine de victimes (d'après un bilan définitif des attentats). À Bab Ezzouar, entre les deux véhicules bourrés d'explosifs distants d'une soixantaine de mètres, les pompiers ont retiré de la ferraille des voitures des automobilistes, pris dans la souricière. Trois des victimes étaient leurs collègues. Ils rentraient à la caserne limitrophe du siège de la Sûreté urbaine quand la mort a barré leur chemin. Jeudi est un jour d'enterrements. La prière de l'absent est accomplie dans toutes les mosquées du pays. Dans leurs prêches, les imams condamnent le terrorisme. L'ENTV fait appel à Youcef El Karadaoui, cheikh d'El-Azhar, pour stigmatiser les prophètes de l'apocalypse. Tour à tour, Abdelaziz Belkhadem et Nouredinne Yazid Zerhouni meublent aussi la lucarne. Le Chef du gouvernement apparaît à la télévision au soir du double attentat. Le visage blême et les traits tirés, il annonce que le président de la République a réuni la commission de sécurité. Le lendemain, le ministre de l'Intérieur, sans donner de détails sur les résultats de cette rencontre, assure que le dispositif de sécurité sera renforcé. Par ailleurs, il appelle les citoyens à être vigilants et à défendre la réconciliation nationale. La population est sous le choc. Elle a peur. Samedi, alors que la ville assommée reprend peu à peu ses esprits, de nouveaux attentats kamikazes ont lieu à Casablanca, au Maroc. Intra-muros, un avertissement de l'ambassade américaine à Alger fait souffler un vent de panique. Selon les responsables de la mission, des attentats à la bombe étaient prévisibles dans la journée à la Grande-Poste et au siège de la télévision, au boulevard des Martyrs. L'information est relayée par les chaînes satellitaires étrangères. Affolés, les Algérois se réfugient chez eux. De son côté, le gouvernement garde le silence pendant 24 heures. Yazid Zerhouni réagit en premier. Pressé par les journalistes, pendant la tournée du président Abdelaziz Bouteflika, dimanche à Alger, il parle de “manœuvre”. “Qui a intérêt à semer la panique dans le pays ?” s'est-il demandé. Dans l'après-midi, le ministère des Affaires étrangères convoque le chargé d'affaires de la représentation américaine. L'alerte est qualifiée de “fantaisiste et inacceptable”. De même, des allégations, selon lesquelles les terroristes sont des étrangers, sont réfutées par le ministre de l'Intérieur. “Malheureusement, ils sont tous Algériens”, révèle-t-il. Deux sont connus pour être des repris de justice. L'un habite un bidonville de Bourouba. Le second au Télemly. Les anciens fiefs terroristes sont épouillés par les services de sécurité. L'esprit de civisme des citoyens est mis à contribution. Un numéro vert est mis à leur disposition. “Il faut compter sur le peuple. Il doit bouger”, martèle le chef de l'Etat. Attendu dans un discours à la nation, M. Bouteflika se contente de brefs messages distillés lors de sa visite aux victimes des attentats, au CHU Mustapha-Pacha. Lundi à Constantine, il accomplit une tournée marathonienne ponctuée par une série d'inaugurations, mais confie à son Chef du gouvernement la mission de faire une allocution à sa place, à l'université Emir-Abdelkader, à l'occasion de la Journée du savoir. Le peuple que le Président veut “voir bouger” manifeste mardi. Les caméras de l'ENTV font le compte-rendu des marches organisées dans plusieurs wilayas du pays et d'un rassemblement à la coupole du 5-Juillet à Alger. Officiellement, ces messes sont une initiative des partis politiques et de la société civile pour condamner le terrorisme et soutenir la réconciliation nationale. Samia Lokmane