Outre le chômage, l'oisiveté et l'absence de perspectives, les lieux de distraction et de loisirs n'existent même pas dans les contrées de la wilaya de Béjaïa, à l'image de Chemini, Sidi Aïch, Seddouk, Awzellaguen ou encore Akbou. La vallée de la Soummam pue, en ce mois d'août 2008, la désolation. Plaque tournante de toute une daïra surpeuplée et qui aspire toujours à s'élever au rang de wilaya, la ville d'Akbou finit par ne rien offrir en matière de distraction et de loisirs à ses enfants. Il est midi en cette journée du 10 août 2008, la ville grouille de monde. Les jeunes, pour “tuer” le temps, sont partagés entre les interminables parties de cartes et l'évasion sur le Net, à la recherche d'un “tuyau” pour l'eldorado. “En été, on sort facilement, on s'abrite dans les cafés du coin et beaucoup dans les cybercafés, seuls lieux pour passer notre temps”, confie Abdenour, rencontré au quartier Guendouz. Pour Farid, qui se dit chômeur éternel, et dont les yeux en alerte donnent à son sourire plus de sincérité sur un visage juvénile usé par l'attente : “Concernant les lieux de distraction et les manifestations culturelles, il n'y en a point ici comme ailleurs. Le seul lieu est le café la journée et le Net le soir. On plonge dans ce dernier pour oublier et ne pas sombrer dans la déprime. Nous n'avons même pas les moyens de nous payer une virée dans d'autres villes. Alors, nous nous consolons de passer nos journées de cette manière, en attendant des jours meilleurs.” Et d'ajouter : “Beaucoup disent que les jeunes ne veulent pas travailler et sont fainéants ; je vous assure que c'est faux. Il n'y a pas de travail. Sinon, ils ne seraient jamais là à raser les murs à la recherche d'un lieu frais pour fuir la canicule qui sévit ces derniers jours.” Au centre-ville, Hakim, la trentaine à peine, nous parle de sa localité : “Vous savez, heureusement que le secteur privé arrive tant bien que mal à résorber un peu le chômage. Sinon, c'est terrible, le phénomène prend une ampleur dramatique dans la région. Ne me parlez pas de distraction quand la majorité est sans travail. Leur seul lieu de distraction et de loisirs est la rue et ce, jusqu'a l'aube.” Pourtant, la volonté affichée par l'Etat pendant ces dernières années et celle projetée jusqu'en 2009 consistent en la concrétisation d'une dynamique de croissance économique fondée sur la promotion d'un développement durable et l'amélioration du cadre de vie des populations par la création de nouveaux postes de travail et la prise en charge de leurs problèmes sociaux. Cette option des pouvoirs publics s'appuie sur des programmes d'équipements publics consistants qui sont le programme de soutien à la relance économique pour la période 2001-2004 et le programme complémentaire (présidentiel) pour les années 2003-2004. Depuis 2005, un autre programme est venu consolider les deux premiers. Il s'agit du programme complémentaire de soutien à la croissance économique 2005-2009. Manque de perspectives Néanmoins, nonobstant cette “embellie”, le taux de chômage officiel communiqué est de 18% dans la wilaya de Béjaïa. Filles et garçons dans ces contrées de la vallée de la Soummam ne savent plus à quel saint se vouer devant les difficultés multiples rencontrées pour dénicher un travail stable. “Je suis diplômé depuis trois ans et mon calvaire continue. Pour les lieux de distraction, ce n'est pas la peine d'en chercher. Ici, il n'y a que les cafés et Internet qui "casent" les jeunes à la recherche d'un truc pour partir vers d'autres cieux. Ces derniers ne peuvent même pas se permettre de petites vacances, même au bord de la mer à Béjaïa”, renchérit Rachid à Seddouk, une autre localité frappée par la sinistrose, côté animation culturelle et distractions. “L'Internet est le seul lieu pour les jeunes pour chercher une opportunité. Nos seules distractions sont la parabole chez nous ou les cafés. À part ça, walou, et personne ne s'en soucie”, dira Amar. À Chemini, sur les hauteurs de Sidi-Aïch , la désolation se lit sur les visages des jeunes. “C'est pire que dans les grandes villes. Ici, on n'arrive même pas à se débrouiller des petits boulots. Pour les loisirs et les distractions, c'est de l'utopie. Les jeunes se contentent de parties interminables de dominos ou bien vont au cybercafé. C'est le train-train d'ici. La preuve, même le lycée de la localité garde toujours son amiante laissée depuis des années et personne ne bouge le petit doigt. Pourtant, c'est dangereux”, argumente Boukhelfa, qui s'apprêtait à pénétrer dans le seul cyber du coin pour, dit-il, se “réfugier”. Nous empruntons le tronçon Takrietz-Sidi-Aïch et dans cette dernière ville, à l'instar d'autres, les établissements culturels et autres lieux d'animation sont inexistants, en hiver comme en été. Ici, le passe-temps privilégié des jeunes est encore Internet et les causeries dans les rues jusqu'aux heures tardives de ces nuits du mois d'août 2008 infernales et longues. Les cybercafés et les artères de la ville sont bondés jusqu'aux premières lueurs du matin par des “hordes” de jeunes. “C'est notre seul lieu pour rompre la monotonie et un moyen pour l'harba. Qui sait ? Un jour, nous trouverons sur le Net ce moyen d'aller ailleurs ou quelqu'un qui pourra nous aider. Une Québécoise a même envoyé de l'argent à quelqu'un d'ici pour l'aider à aller s'installer chez elle. Vous savez, les jeunes n'ont pas les moyens de se payer des vacances, même le fait d'aller à un match de football revient très cher. Nous sommes dans le flou total et personne ne se soucie de notre quotidien”, fulminent deux accros du Net. Selon le Dr Tahar, psychologue, l'apparition de ces nouveaux phénomènes dans la société résulte du “chômage ajouté à l'inexistence de lieux de distraction et de loisirs, ce qui a engendré beaucoup de maux. Et le Net est un véritable refuge pour cette masse juvénile. Ces jeunes se heurtent à des blocages. Ils n'ont pas toutes les facilités voulues et recherchées pour réussir un projet, quel qu'il soit. Embûches bureaucratiques, lenteurs administratives, blocages au niveau des banques, projets en attente, conditions sévères de remboursement…”. Même si le changement de la politique économique de l'Etat a largement contribué à l'accélération du changement social, lequel s'est traduit par l'apparition de nouveaux phénomènes sociaux qui ont été le résultat d'une période de transition, néanmoins, les profondes réformes économiques qu'a connues l'Algérie ainsi que l'épisode de la tragédie nationale ont fracturé le tissu social et laissé une grande partie de la population dans le besoin et la précarité. Cette situation a exigé un changement d'orientation des politiques sociales et du dispositif de solidarité nationale. Il s'agit plus que jamais de réfléchir à présent aux principales composantes de la question sociale en Algérie et, par conséquent, aux moyens politiques, financiers et techniques à mettre en œuvre pour que l'Etat, la wilaya, les communes et les associations citoyennes puissent se réengager avec volontarisme dans tout le dispositif opérationnel d'intervention sociale, notamment dans la protection de l'enfance, la résorption de l'illettrisme, la lutte contre le chômage, le traitement social, la prévention des exclusions et l'accompagnement des personnes en difficulté. Ceci dit, à Timezrit, Sidi-Aïch, Akbou ou encore à Seddouk, Amalou et Takrietz, les manifestations culturelles, ainsi que les lieux d'animation et de loisirs sont quasiment inexistants dans une vallée de la Soummam frappée plus que jamais de sinistrose. A. HAMMOUCHE