Echaudé par l'opération «Courroie» du plan Challe et la terreur de la «Main rouge» de Fleury Vigneau, le Haut commandement de l'ALN de la wilaya IV, décide d'entreprendre des opérations militaires, entre aures, la liquidation physique du sanguinaire Fleury. Cette opération était confiée au jeune Bousmaha Mohamed dit «Mohamed Berrouaghia». Après s'être très bien renseigné auprès du commissaire politique local en l'occurrence Bendahmane Abdelkader sur les allées et venues du sanguinaire et les positions des postes militaires du village, Bousmaha choisit son groupe et prépara minutieusement un plan. «J'avais tenu une réunion dans la journée avec le groupe de moudjahidine, je leur ai parlé des exactions et des crimes de Roger Fleury et leur ai dit que la mission est difficile et qu'il est possible que nous allons payer de notre vie pour accomplir cette mission», nous a confié Si Mohamed Bousmaha. L'opération s'est déroulée le 15 septembre 1960 vers 17 heures. Du refuge, à l'entrée ouest de Berrouaghia, les 9 hommes habillés en «paras», se dirigent le long de la voie ferrée, jusqu'au pont de la route menant vers El-Khemis. Là, le groupe de 2 hommes, Chaalou et Zerrouk, se positionnent sur la crête avec des fusils mitrailleurs 24-29, afin d'assurer le repli des autres. Les 7 autres du groupe se dirigent vers le centre-ville. Entre temps, un jeune de 12 ans, Rahmoune Boudjemâa (chahid) leur servait d'informateur. «En sortant du refuge, je leur ai donné instructions de marcher en simulant le déplacement d'une patrouille militaire normale : distance entre homme, allure décontractée, etc... J'étais en tête de la patrouille...». La patrouille se composait ainsi : en plus de Bousmaha Mohamed, 21 ans, originaire de Berrouaghia, Blidi Ali était le chef militaire du secteur. C'était un jeune citadin, originaire de Blida. Il avait à peine 19 ans, armé d'une mat 49, Bendahmane Abdelkader était le commissaire politique sectoriel, lettré en arabe, il est originaire de Ben-Chicao où il exerçait la profession de fellah. Il avait 21 ans et possédait une mat 49. Remila Abdelkader dit «Abdeka Lakehal», fellah de la région de Berrouaghia, avait 20 ans, il se servait du fusil mat 56. Abed Abdelkader est originaire d'Oran, qu'il a quitté à 17 ans pour le Maroc où il s'est entraîné deux mois avant de rejoindre la wilaya IV avec un convoi d'acheminement d'armes, il s'était essayé à mille petits commerces à Oran. Il avait lors de l'attaque une mat 49, Sahraoui, originaire de Médéa, avait un mat 49 et Slimane avait 19 ans, originaire de Médéa, il se servait d'un fusil Garant. La patrouille remonte les sentiers du quartier «Battoire», passe devant le magasin de Mme Ruiz. Les moudjahidine longent le trottoir en face du cinéma «Le Club» et entrent dans le café d'Orient dit «Bar Goby». Auparavant, le jeune Rahmoune Boudjemâa leur avait confirmé que Fleury était dans ce bar. «A ce moment, j'ai aussitôt pensé aux victimes de Roger Fleury, aux tortures infligées. Certaines scènes, certaines figures ont défilé devant mes yeux», nous relate Si Mohamed Bousmaha. Le bar était composé de 2 salles, «j'avais ordonné aux moudjahidine de ne pas tirer avant que j'abatte l'adjudant Roger Fleury». Bousmaha entrant dans la petite salle du bar, ayant vu un harki qui consommait au comptoir, avait certainement remarqué que je n'étais pas un militaire de l'armée française. Il entra dans la grande salle, alla voir Roger Fleury toujours attablé, lui parla à l'oreille, quand j'arrivai, Roger Fleury tourna la tête. Nos regards se croisèrent, je ne lui ai pas donné le temps de réagir et vidais sur lui le chargeur. A ce moment là, éclatèrent de toute parts des feu nourris. Je me frayais difficilement un passage par le même chemin en tirant sur les Français qui se trouvaient dans la salle, la fusillade dura quelques moments. S'en suivit une fusillade indescriptible. En se repliant, Remila Abdelkader dit «Abdeka Lakehal» lance une grenade qui a fait d'énomes dégâts. L'opération s'est soldée par 11 morts et 14 blessés du côté colonialiste. A Berrouaghia, c'est l'abattement parmi les colons surtout ceux de Médéa et notamment «la personne» qui était «gardien» du stade Si Hamdane de Médéa qui côtoie aveuglement les colons. Chez les Algériens, c'est la joie de vivre. Une joie communicative. Pour eux, le pire calvaire, le tortionnaire c'est Roger Fleury. Beaucoup de victimes parleront du jour de sa mort. «Pour nous, ce fût un jour d'indépendance». «Sa mort était une rétorsion». On comprend le soulagement de la population après tant de crimes de sang et de douleur. Madame Benameur (l'épouse du chahid de Ksar El-Boukhari) parle de «soulagement sur cœur». La mort de Roger Fleury a couru les rues avant de parvenir aux états-majors dans le monde. Depuis, il n'y eut plus de semblable tortionnaire à Berrouaghia. Le coup a été très dur pour la Main rouge, la FAF et l'OAS. Une vieille dame faisant semblant en pleine rue de crier sa douleur : «Roger Fleury est mort, Roger Fleury est mort». C'était une sorte d'informer la population sur la liquidation physique du sanguinaire. Cette délivrance est vécue aujourd'hui après presque cinquante et un ans avec beaucoup d'intensité.