Les nouveaux maîtres du Caire doivent rapidement mettre un terme à l'occupation des grandes places et des rues des villes égyptiennes par les pros et les antiMorsi. L'enjeu aujourd'hui n'est plus autour de ce qui est légitime et qui ne l'est pas mais celui du devenir d'un pays aussi ancien que l'Egypte. Toute «révolution» a un prix à payer, non seulement en vies humaines. Lors de la révolution de janvier 2011 qui a entraîné la chute de Moubarak, l'économie égyptienne avait perdu près de dix milliards de dollars. Alors à combien seront évaluées les pertes de cette seconde «révolution» qui fait suite à l'éviction du président Mohamed Morsi ? Avant le départ de Hosni Moubarak l'économie égyptienne réalisait une croissance annuelle dépassant les 5%. Durant cette période l'Egypte arrivait à drainer des investissements directs étrangers (IDE) dépassant les 10 milliards de dollars annuellement avec un pic de 11,5 milliards de dollars en 2007. Presque sept fois plus que les IDE drainés par l'Algérie en moyenne annuelle. L'autre richesse de l'Egypte, le tourisme. En 2010 pas moins de 15 millions de touristes étrangers ont visité le pays des pharaons. Ils n'ont été que 11 millions l'année passée. Le tourisme représente plus de 11% du PIB et emploie plus de trois millions de personnes. Deux ans et demi après le départ de Moubarak et en un an de règne des Frères musulmans, l'Egypte est au bord de la faillite. La croissance est tombée au dessous des 3% tandis que les IDE n'ont été que de 2,8 milliards de dollars en 2012. L'inflation dépasserait les 13%. En 2012 les prix ont augmenté de 4,5% en moyenne à un moment où les revenus des ménages baissaient de près de 12%. Et pour aggraver encore plus cette situation sociale, le gouvernement des Frères musulmans décide de lever ses subventions sur l'électricité et le gaz. Aujourd'hui un Egyptien sur cinq vit au dessous du seuil de pauvreté avec seulement deux dollars de revenus par jour. Concernant les équilibres externes, le déficit de la balance des paiements s'est creusé pour atteindre les 11,3 milliards de dollars entraînant un effondrement des réserves de change qui ne représentent plus que trois mois d'importations. Une baisse qui s'est répercutée sur l'endettement extérieur qui avoisine les 40 milliards de dollars actuellement. Mais qu'a fait le gouvernement Morsi pour sortir l'Egypte de cette grave crise économique et financière ? Les Frères musulmans ont décidé de «monnayer» leur soutien à la politique du Qatar dans la région. Morsi décide alors de couper les relations diplomatiques avec le régime syrien en contrepartie d'une aide financière du Qatar et de la Libye. Le 10 avril 2013, le Qatar décide d'acheter des obligations égyptiennes pour trois milliards de dollars et une assistance financière de 5 milliards de dollars. De son côté la Libye décide d'accorder deux milliards de dollars à Morsi. Mais ces financements restaient tout de même en deçà des immenses besoins de l'Egypte. Le FMI (Fonds monétaire international) est alors appelé à la rescousse. Ce dernier promet des aides à hauteur de 4,8 milliards de dollars. Mais le déblocage de ces crédits restera tributaire des réformes exigées par l'institution financière internationale. Le gouvernement Morsi était donc appelé à réduire le déficit budgétaire et les subventions. L'Union européenne, elle aussi emboîte le pas au FMI et décide d'aider le nouveau régime issu des élections démocratiques. Cette aide se résume à des crédits s'élevant à quatre milliards d'euros à débloquer par la Banque européenne d'investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et un milliard d'euros accordé par les pays membres de l'Union européenne. Mais la sortie de crise de l'Egypte n'avait pas seulement besoin d'argent. Elle avait surtout besoin d'un consensus politique interne. Un consensus que les Frères musulmans ne voulaient nullement chercher. Disposant d'une majorité parlementaire confortable, les Frères musulmans vont faire adopter une Constitution sur mesure. Il voulait mettre sous leur contrôle la justice et l'armée. Les médias lourds (TV et radios) passeront, eux aussi, sous le contrôle des Frères musulmans. Quelques mois après la chute de Moubarak, la censure est pratiquée par le nouveau régime des Frères musulmans. Au moment où la majorité du peuple égyptien guettait une lueur d'espoir pour améliorer ses conditions de vie, le nouveau régime avait d'autres préoccupations, celles d'asseoir leur emprise totalitaire sur les institutions. Las d'attendre, une partie du peuple descendra dans la rue pour demander le départ de Morsi. L'armée égyptienne, consciente des graves dangers qui menaçaient l'existence même de l'Egypte ne pouvait que soutenir ceux qui demandaient le départ du président élu. Le jour de l'éviction de Morsli, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït décident d'une aide d'urgence à l'Egypte de l'ordre de 12 milliards de dollars. De leurs côtés, les Etats-Unis maintiennent leur aide de 1,3 milliard de dollars accordée annuellement à l'armée égyptienne. Sur le plan stratégique les Etats-Unis ne pouvaient lâcher l'Egypte qui a signé des accords de paix avec Israël. Mais pour les observateurs, cette importante aide financière décidée par les pays du Golfe ne pourrait assurer qu'un sursis de quatre mois à l'Egypte. Les nouveaux maîtres du Caire ont quatre mois pour rétablir l'ordre et la sécurité afin de relancer une économie au bord du précipice. Dans le cas contraire, l'Egypte sombrera dans un chaos qui aurait de dramatiques conséquences sur l'ensemble de la région du Moyen-Orient.