Aujourd'hui, 45 ans après ces décisions, et en ce 60e anniversaire de la création de l'UGTA, ma fougue est toujours là, présente dans ce pays qui est le mien, et pour lequel j'ai beaucoup donné et auquel je donnerai encore et encore, pourvu que Dieu me prête vie Ainsi, ce 24 février était pour moi – comme pour tous les jeunes de cette époque – cette occasion où le contrôle de nos richesses devenait un processus inéluctable qui répondait à des impératifs politico-économiques sur lesquels l'Algérie n'admettait aucune discussion. Notre pays voulait renforcer son indépendance dans tous les domaines et, par voie de conséquence, plusieurs aspects de la coopération, étaient rendus caducs. Et j'étais conscient, comme tous les jeunes de notre organisation, de cette nécessité qui exigeait de nous une mobilisation continue et une participation soutenue, pour garantir la réussite de ces décisions qui allaient dans le sens de la consolidation de notre souveraineté nationale. D'ailleurs l'Histoire est là. Elle peut témoigner de nos efforts, nous les jeunes d'alors, qui avions pris l'initiative d'organiser un «Séminaire international des jeunes des pays producteurs de pétrole», pour engager cette population importante dans le monde à soutenir les décisions énergiques prises par l'Algérie le 24 février 1971, à l'occasion du 15ème anniversaire de la création de l'UGTA. Pour ce faire, nous nous sommes déplacés Abdelkader Saâdna et moi à Budapest (1), en 1971, pour négocier avec la FMJD (2) tous les aspects de ce Séminaire international. Cette démarche pragmatique s'inscrivait dans la concertation et, disons-le clairement, dans l'appui de notre jeunesse, dont la mission favorisait les liens entre les organisations de jeunes du monde pour promouvoir la paix. Ainsi, nous avons pris l'initiative courageuse pour aller au-devant d'une mission difficile, en un pari audacieux, pour dresser un front uni de jeunes et de travailleurs, particulièrement ceux de l'industrie pétrolière, contre les monopoles impérialistes du cartel pour la ré cupération des ressources en hydrocarbures et de toutes les richesses naturelles. Le pari a été tenu. Le Séminaire international a eu lieu au «Club des Pins». Alger, en cette manifestation historique, a été la capitale, qui a eu le privilège d'accueillir de notables représentants d'Organisations et de Mouvements à travers le monde. Tous ceux-là sont venus à l'appel de la jeunesse algérienne pour se solidariser davantage en «une époque qui rejetait le combat solitaire et partant, stérile, pour laisser place à une seule action fructueuse, celle de la lutte solidaire et organisée de l'ensemble des peuples opprimés et exploités contre un ennemi dont la forme première s'était toujours accrue de l'effet de notre dispersion et de notre division...» (3) Voilà comment j'ai vécu, en temps réel, ces décisions du 24 février 1971. Je les ai vécues dans l'initiative, dans la promptitude des engagements et dans le travail ardu pour expliquer, sensibiliser et mobiliser le monde de la jeunesse autour de ces décisions historiques, et non dans les atermoiements qui, souvent, ne nous rendent pas service, parce qu'ils atténuent nos élans que nous dirigeons vers la réussite et le progrès. lll Aujourd'hui, 45 ans après ces décisions, et en ce 60e anniversaire de la création de l'UGTA, ma fougue est toujours là, présente dans ce pays qui est le mien, et pour lequel j'ai beaucoup donné et auquel je donnerai encore et encore, pourvu que Dieu me prête vie. Ainsi donc, je présente en cette double commémoration, celle de la création de la Centrale syndicale algérienne, le 24 février 1956 et celle de la nationalisation des hydrocarbures, le même jour en 1971, une décision qui a sonné le «tocsin» pour les derniers restes de la colonisation française en Algérie, un ouvrage qui raconte une grande leçon d'Histoire des travailleurs de notre pays. Je l'ai intitulé : «Le mouvement ouvrier et syndical en Algérie de 1884 à 1962» * C'est quoi au juste, cette leçon d'Histoire que je raconte en un ouvrage de plus de 5OO pages ? Ce sont tous les acteurs, parmi les ouvriers, travailleurs et responsables qui nous ont enseigné, dans des cours magistraux d'Histoire mais aussi de savoir-faire, que notre syndicalisme est né du combat du peuple algérien... Ceux-là, pour ainsi dire, sont l'Histoire elle-même, que nous devons conter volontiers, résolument et fièrement, en nous enorgueillissant de notre pays qui ait pu produire des Hommes de ce gabarit, de ce tempérament, de cette qualité, où les mots valeurs et mérites, au pluriel, ne leur faisaient pas défaut. Ce sont ces «noms propres», dont plusieurs sont «oubliés par omission» – le redire en un pléonasme n'est pas de trop –, alors qu'ils ont démontré, en leur temps, qu'ils symbolisaient, sur le terrain de la réalité, «ces militants actifs, responsables, réfléchis et discrets, à cheval sur le nationalisme anticolonial et le syndicalisme libérateur d'énergies». Ce sont ces pionniers audacieux qui ont su braver le péril colonialiste et, au prix de leur vie, nous ont légué une organisation, un syndicat, un programme de travail et un mode de vie, où abondent le sacrifice, la conscience, le désintéressement et la fidélité aux principes..., ces principes dont est jaloux notre peuple. J'insiste dans cet ouvrage en affirmant que c'est ce programme que nous devons suivre pour notre salut..., que nous devons perpétuer pour que s'en saisissent les générations futures, celles à qui échoit la tâche de maintenir et d'assurer constamment le progrès de notre pays, dans la continuité de l'esprit de nos aînés. Je donne des noms, beaucoup de noms, que je ne peux citer un à un dans cet écrit, parce que la liste est assez chargée. Et ces noms qui me viennent d'un répertoire bien fourni de syndicalistes algériens et «européens», sont les figures les plus marquantes du mouvement ouvrier et syndical en Algérie. Ils représentaient, en leur temps, une élite qui a fait son apprentissage dans les syndicats pendant la colonisation et qui, sans cette base, «aurait été un bouchon qui flotte sur l'eau» pour reprendre l'expression d'un responsable algérien. Ce sont effectivement, tous ceux-là, ces bons nationalistes et militants syndicalistes, qui ont permis aux travailleurs de s'exprimer et de s'affirmer en toutes circonstances, et à l'UGTA, une Centrale purement algérienne, un produit de la Révolution, d'exister un 24 février 1956 pour mener sa mission dans le respect des principes de Novembre et de la continuer, jusqu'à l'heure, dans une société de partage et d'équité. Tous ceux-là, ce n'est pas par dévote charité – pour reprendre d'excellentes idées de mon ami journaliste-scénariste Boukhalfa Amazit – qu'ils ont consacré leur propre vie à soulager les autres du poids de leur fardeau. Il y a autre chose de plus profondément humain, d'insaisissable. Ce qui différencie sans doute le syndicaliste du politicien, même si entre elles leurs activités se cousinent, s'illustrent justement par l'action des hommes et des femmes qui ne cherchent pas les rutilances de la gloriole, mais le bien pour tous. Ils se sont battus pour que la lumière baigne les humbles et..., bien sûr, l'Algérie. En tout cas, ils ne se sont pas battus pour porter rosette à la boutonnière... Pour tout cela, je précise dans l'ouvrage qu'il y a dans la vie des hommes : ceux qui créent les circonstances, et ceux qui sont créés par les circonstances. Dans les périmètres du syndicat, ceux-là existent dans les deux conditions – ils sont plus nombreux dans la première, fort heureusement – où la nature s'impose dans son milieu et où tout se crée, s'invente, mais rien ne se perd et ne s'oublie... Oui, rien ne s'oublie, surtout ces faiseurs de circonstances et d'événements, ces faiseurs de «problèmes», comme les considéraient, malencontreusement dans leur propre logique, les gens de l'autre côté de la barrière, c'est-à-dire les agents du colonialisme. Et comment oublier ce que l'Histoire, bien informée, nous rappelle avec des faits et des dates dûment vérifiées ? Allons-nous occulter cet acte courageux qui nous apprend qu'en pleine célébration du centenaire de la conquête de 1830, faute de pouvoir obtenir la «Bourse du travail», c'est dans le garage-entrepôt du communiste René Cazala, à Bab-el-Oued, que s'est tenu semi clandestinement le 15 juin 1930, ce fameux Congrès des ouvriers arabes d'Algérie, qui a réuni soixante-neuf délégués arabes et six délégués européens, venant de quatorze villes pour une quinzaine de professions représentées ? Ainsi, dans le mouvement ouvrier algérien, et il faut le reconnaître, il y a eu nombre de faiseurs de circonstances – ces «concepteurs de bonnes choses» en quelque sorte – qui sont nés dans la lutte anti-impérialiste, anticoloniale... Ils sont nombreux ceux qui ont fait du syndicat une lutte légitime, imprimant au monde du travail des idées fortes et laissant leur empreinte sur le mouvement travailliste dans sa lutte contre l'exploitation, le monopole, et devant le déni du caractère humain de l'homme, celui de ses droits et de son rôle pionnier dans la réalisation de sa propre vie dans la prospérité et le bonheur... Mais sont-ils nombreux aujourd'hui, ceux qui, dans le feu de l'action, en s'imprégnant des constantes de leurs aînés, encadrent les travailleurs et les exhortent à accomplir leur devoir sacré par leur contribution effective à la construction du présent et de l'avenir de notre pays ? Alors, ce présent ouvrage, que je présente pour ces deux anniversaires du 24 février de 1956 et de 1971, a le mérite de réhabiliter ces étapes méconnues par les jeunes qui, malheureusement, n'ont pas eu accès à ces informations qui les instruisent et leur permettent de mieux connaître leur passé où les sacrifices n'étaient pas de vains mots, mais un combat d'un peuple héroïque qui s'engageait résolument contre l'odieux colonialisme et ses supports. Cet ouvrage, enfin, m'a été préfacé par mon aîné Tahar Gaïd. Pourquoi lui et pas un autre ? Tout simplement parce qu'il était présent dans le processus de création de la Centrale syndicale UGTA, depuis le mois de Juillet 1955 au cours duquel Abane Ramdane, en réunion au 4 rue de Lafontaine à Belcourt (actuellement Belouizdad), lui confia la nécessité de mettre sur pied une organisation nationale des travailleurs et une autre des commerçants car, disait-il, ce sont deux leviers de combat contre l'économie colonialiste. Je l'ai sollicité également parce qu'il est l'un des rares fondateurs survivants de cette glorieuse UGTA de 1956, aux côtés des Aïssat Idir, Rabah Djermane, Boualem Bourouiba et autres Benaïssa Attalah et Ali-Yahia Madjid. Kamel Bouchama Auteur