Situé sur les bords de l'Euphrate, le camp de Nizip-2, au sud-est de la Turquie, où vivent 5 000 réfugiés du conflit syrien, attendait de pied ferme, samedi 23 avril, la visite du trio de hauts responsables européens – la chancelière allemande Angela Merkel, le président du Conseil européen, Donald Tusk, et le commissaire Frans Timmermans –, accompagnés par Ahmet Davutoglu, le Premier ministre turc. « Bienvenue en Turquie, le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde », disait une banderole promotionnelle accrochée à l'entrée du camp de préfabriqués. 2,7 millions de réfugiés syriens sont actuellement enregistrés en Turquie, 300 000 seulement ont pu s'installer dans les camps gérés de façon efficace par l'Etat. Une foule impatiente attendait la délégation, placée sous bonne escorte. Des jeunes filles vêtues de blanc ont pu se frayer un chemin jusqu'à la chancelière pour lui offrir des fleurs, malgré la présence de nombreux gardes du corps. Nizip n'est pas très loin de la ville de Kilis, sur la frontière turco syrienne, où des tirs de roquettes en provenance du territoire syrien sous contrôle de l'organisation Etat islamique (EI) ont fait quatorze morts récemment. Un camp tiré à quatre épingles Casse-tête sécuritaire, ce déplacement visait avant tout à promouvoir la bonne marche de l'accord sur les migrants signé le 20 mars entre la Turquie et l'Union européenne. Cette tournée médiatique – bien que des centaines de journalistes aient été laissés à la porte d'entrée du camp –, a été vertement critiquée par les ONG et les défenseurs des droits de l'homme, qui ont dénoncé une opération de communication. Nizip-2 est un camp tiré à quatre épingles tandis que les centres de rétentions par lesquels transitent les « illégaux » pakistanais ou afghans avant leur expulsion de Turquie, ne sont pas aussi bien tenus. Les humanitaires déplorent par ailleurs le maintien, dans des camps précaires du côté syrien de la frontière, de dizaines de milliers de réfugiés empêchés de pénétrer sur le sol turc. Des dizaines de milliers d'autres déracinés pourraient grossir leurs rangs alors qu'une offensive russo-syrienne sur Alep est en préparation. Pris entre le marteau et l'enclume, Ankara est prié d'ouvrir grand la porte aux réfugiés côté syrien, et, dans le même temps, de bloquer leur passage vers l'Egée et l'Europe. Plan controversé Car selon le plan signé à Bruxelles, les autorités turques s'engagent à recueillir tous les migrants arrivés sur les îles grecques depuis le 20 mars (moins de 8 000 personnes) et à empêcher les candidats au départ de faire route vers la Grèce. Pour chaque réfugié syrien renvoyé des îles grecques vers la Turquie, un autre réfugié, pris dans un camp comme celui de Nizip-2, sera convoyé vers un pays européen, dans la limite de 72 000 personnes. Il s'agit de favoriser les réfugiés légaux, enregistrés dans les camps, au détriment des illégaux qui alimentent les réseaux de passeurs. Controversé pour son mépris des conventions internationales sur les réfugiés, critiqué par les humanitaires, l'accord a semble-t-il permis de limiter les arrivées de migrants en Grèce. La Commission européenne s'en est réjoui le 20 avril. A l'automne 2015, 10 000 personnes arrivaient chaque jour sur des canots de fortune dans les îles grecques, ils ne sont plus désormais qu'une centaine par jour à y débarquer. Sa réalisation est dérisoire. Depuis le 20 mars, 325 migrants ont été renvoyés de Grèce en Turquie tandis que 103 réfugiés syriens ont pu être dans le même temps réinstallés dans l'UE. « Nous ne devons pas attendre pour appliquer notre part de l'accord », a indiqué, jeudi 21 avril à Luxembourg, le ministre néerlandais aux migrations, Klaas Dijkhoff, dont le pays assure la présidence tournante du Conseil. La Turquie attend les contreparties promises Estimant avoir rempli sa part du contrat, la Turquie attend les contreparties promises, soit six milliards d'euros, la relance des négociations d'adhésion à l'UE ainsi que l'obtention des visas pour ses ressortissants. « La question de l'exemption de visas est vitale », a insisté M. Davutoglu lors de la conférence de presse conjointe avec les Européens à Gaziantep. Avec Ankara, c'est du donnant-donnant. Si le régime de visas n'est pas assoupli d'ici au mois de juin, il y aura désengagement, M. Davutoglu l'a fait savoir à maintes reprises. De part et d'autre, la méfiance prévaut. Les autorités turques soupçonnent les Européens de chercher à limiter les exemptions de visas. La mesure pourrait s'appliquer à certaines catégories de la population (étudiants, hommes d'affaires), être établie de façon provisoire ou ne concerner que certains Etats. La suite se dessinera le 4 mai, quand la Commission européenne présentera son rapport sur le sujet.