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Une association porte plainte au Sénégal
Publié dans La Nouvelle République le 24 - 10 - 2016

La Ligue sénégalaise des droits de l'Homme veut poursuivre les acteurs qui ont participé au trafic révélé par la publication du rapport «Dirty Diesel».
Quelques jours après la publication du rapport « Dirty Diesel », la Ligue sénégalaise des droits de l'homme (LSDH) a déposé une plainte avec constitution de partie civile, lundi 26 septembre. Reprenant les résultats de l'enquête de l'ONG suisse Public Eye, elle rapporte que « des négociants suisses, en l'occurrence Vitol, Addax et Oryx ou encore Trafigura, ont mis en œuvre toute une industrie de carburant toxique en direction de l'Afrique, multipliant les profits sans égard pour les risques encourus par les populations concernées ».
Elle demande donc d'inculper les personnes qui seraient en lien avec les faits incriminés des chefs de trafic de produits pétroliers nocifs, mais aussi de poursuivre pour complicité ou négligence celles qui auraient pu, de leur position, éviter de tels faits. Toujours selon la plainte, « le prétexte d'une conformité aux standards en vigueur dans notre pays ne saurait prospérer ni être exonératoire dès lors que le coût de ce trafic, c'est la santé de millions d'individus ».
En effet, selon les principes directeurs des Nations unies relatifs aux droits humains, si le cadre légal n'est pas suffisant pour protéger la population, les sociétés ne peuvent se contenter de respecter ce cadre légal.Pour réaliser son enquête, l'ONG Public Eye a prélevé des échantillons à la pompe dans neuf pays africains (Angola, Bénin, Congo-Brazzaville, Ghana, Côte d'Ivoire, Mali, Nigeria, Sénégal et Zambie) et révélé que les carburants y sont d'une part de bien moindre qualité qu'ailleurs et d'autre part très polluants.
Leur teneur en soufre y est jusqu'à 378 fois supérieure à la teneur autorisée en Europe. D'après le rapport, ces sociétés suisses « profitent » de la faiblesse des normes africaines pour y vendre des carburants que l'industrie qualifie sans détour de « qualité africaine » et « réaliser des profits au détriment de la santé de la population africaine ».
«Mettre un terme à ces importations»
Des membres de la société civile d'autres pays cités dans le rapport sont inquiets. Au Nigeria, le militant David Ugolor, président de l'ONG Réseau africain pour l'environnement et la justice économique (ANEEJ), confirme que « le diesel vendu à la pompe au Nigeria est très dangereux pour la santé » et réclame de « mettre terme à son importation» en urgence. Selon lui, ce carburant toxique est de surcroît connu pour brûler très vite, ce qui conduit à d'énormes pertes économiques pour les propriétaires de véhicules et à une surconsommation.
Selon le docteur Michel Boko, professeur titulaire de géographie à l'université béninoise d'Abomey-Calavi, les sociétés indexées ont des complices en Afrique, notamment au Bénin, parmi les hommes d'affaires. « Trafigura aime tant les Africains qu'il veut les rayer de la terre », lance-t-il même, en référence au déversement de déchets toxiques par le cargo Probo-Koala sur les côtes ivoiriennes en 2006, qui avait fait 17 morts à Abidjan en août 2006. Le navire était affrété par le même Trafigura.
Karim Sangaré, conducteur ivoirien de bus, est lui alarmé : « Quand on pense aux camions de certains de nos collègues qui produisent du gaz d'échappement très noir, on fait facilement un rapprochement avec cette histoire de carburant toxique et on a vraiment peur pour notre santé. » Il aimerait que son gouvernement le « rassure ».
«Pas concernés»
Malheureusement, du côté des gouvernements et des responsables du secteur dans les pays concernés, c'est le silence ou le déni. Le premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, s'est exprimé à la télévision nationale dès le vendredi 16 septembre, lendemain de la publication du rapport. Selon lui, gasoil et essence en vente dans son pays respectent les normes. Il conclut, confiant : « Le carburant toxique concerne donc certains pays et je crois savoir que nous ne sommes pas concernés.»
Du côté du ministère ivoirien de l'environnement, on renvoie à celui de la santé, tout assurant que « l'impact de la pollution automobile sur notre environnement est encore mineur ». Une étude publiée il y a quelques mois par le même ministère relevait pourtant une pollution de l'air prononcée à Abidjan, la capitale économique.
A quel point le phénomène est-il grave ? Difficile à estimer avec précision. Une demande a été faite pour obtenir une copie de la dite étude, sans succès. La Société ivoirienne de raffinage (SIR) s'est, elle, défendue dans le quotidien Fraternité-Matin.
Ceux qui détiennent le monopole de la fourniture des produits pétroliers aux stations-service estiment que tous leurs produits « respectent les spécifications Afri2 pour le gasoil, et Afri3, pour l'essence ». Ils sont donc «sans odeur et de meilleure qualité». Dont acte. Même aveuglement volontaire de la Compagnie de pétrole nationale nigériane (NNPC) : «Le Nigeria n'importe pas délibérément du fuel toxique dans le pays», tout comme l'organisme gouvernemental de contrôle du pétrole : «Il n'y a pas de diesel toxique au Nigeria
Un communiqué d'Oryx dans «Fraternité»
Au Bénin, Oryx – une des sociétés mises en cause – a acheté une pleine page dans Fraternité, l'un des quotidiens les plus lus du pays, pour publier un communiqué de presse intitulé « Oryx Energies respecte les réglementations nationales et soutient l'évolution positive entamée par les gouvernements africains ».
Il est vrai que leurs produits sont conformes aux réglementations nationales. Mais le rapport accuse bien Oryx, comme les autres sociétés impliquées, de profiter de ces normes, bien trop laxistes, pour vendre leurs carburants toxiques. La société dément être mal intentionnée.
Elle ne suit pas « une stratégie délibérée et illégitime de baisse de la qualité des carburants pour augmenter les profits », a-t-elle tenu à préciser. Pour preuve de sa bonne volonté, elle se dit même favorable à une évolution des normes.
Face à de nouvelles normes, elle vendra un carburant de qualité correspondante, mais pas avant. «Ce ne sera qu'une fois que les gouvernements africains auront fixé des standards de qualité similaires à ceux en vigueur en Europe que les problématiques soulevées dans le rapport seront résolues.» Les populations africaines devront donc encore attendre avant que les principes directeurs des Nations unies censés les protéger soient appliqués.


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