La série koweïto-syrienne « Fath Al Andalus », sur la conquête d'Al Andalus, ne cesse de faire des vagues depuis la diffusion de la première partie au début de ce mois sacré de Ramadhan. Ainsi et après la falsification de l'histoire en décidant que le lieu de naissance de Tarek Ibn Zyad était le Maroc actuel, voilà que contre tout attente, des voix à la solde du Makhzen ont appelées à suspendre la diffusion du feuilleton. Ces dernières reprochent à cette production « d'être pleine d'inexactitudes et d'insultes envers le Maroc et Tarik Ibn Zyad ». Pourtant, la chaîne marocaine El Oula a acheté à un prix fort ce feuilleton en veillant juste à ce que le producteur mette en avant le territoire actuel du Maroc comme lieu de naissance de celui qui a mené feth El Andalous. Comment les producteurs de cette série ont pu monter ce scénario alors que les écrits sur Tarik Ibn Zyad sont très rares. Le seul point de repère concernant les origines de celui qui était derrière feth El Andalous nous vient du grand savant Ibn Khaldoun. Ce dernier écrira dans son livre sur les origines des Berbères (kitab al-ibar) que Tarik Ibn Zyad descendait de la tribu des Oulhaça. Une tribu qui faisait partie de la grande tribu berbère Zénète. Ibn Khaldoun affirme qu'au départ, une fraction des Oulhaça se trouvait dans la plaine de Bouna, actuellement Annaba : « Cette tribu a des chevaux, ayant adopté non seulement la langue et l'habillement des Arabes, mais aussi tous les usages de ce peuple ». Lors de la conquête du Maghreb en l'an 670 les Zénètes ont été de farouches résistants aux Arabes, particulièrement dans la région des Aurès. La conquête du Maghreb par les Arabes commença en l'an 647 par la prise de la ville de Sbaïtla, situé en Tunisie, alors sous domination Byzantine. Cette première incursion a été le fait de Abdallah Ibn Sa'd Ibn Abi Sarh, le frère de lait du calife Uthman. Abdellah Ibn Sa'd arriva jusqu'à Tébessa. Les chefs Berbères, qui étaient des alliés forcés des Byzantins, furent bien traités par les musulmans. Soulat Ben Ouazmar sera le premier Berbère à se convertir à l'Islam, il faisait partie de la tribu des Maghraouas. Cette première incursion des Arabes en Tunisie et en Algérie sera freinée par l'assassinat de Utman en l'an 656, suivie par celle de Ali et l'avènement de Mu'awiya à la tête de la Khalifa. La vraie conquête du Maghreb commença avec Uqba Ibn Nafâa à partir de l'an 669. Cette année-là, Uqba fut nommé gouverneur de l'Ifriqiya (l'actuel Tunisie et l'Est algérien). Il entamera la conquête avec une armée de 10.000 hommes, où figurait pour la première fois, des Berbères convertis à l'Islam. Uqba fonda alors Kairaouan qui deviendra une base arrière pour mener la conquête du Maghreb Juste après, Uqba sera remplacé par Abu Mahàgir Dinar. Ce dernier construira en l'an 675 la mosquée de Sidi Ghanem à Mila. Elle sera la seconde mosquée construite au Maghreb après celle de Kairouan. Abu Mahàgir Dinar fera face à une révolte des Berbères sous la direction de Koceila, chef chrétien de la tribu des Awraba. Abu Mahàgir les repoussa jusqu'aux environs de Tlemcen. Vaincu en 675 aux sources de Tlemcen, Koceila abjura le christianisme, embrassa l'Islam et gagna la confiance du chef arabe. En 681, Uqba revient à Kairouan. Il se vengea d'Abu Muhàgir et humilia Koceila en refusant qu'il l'accompagne dans sa grande chevauchée vers l'extrême-Ouest. A la tête de son armée, il mènera plusieurs batailles contre les tribus berbères jusqu'à l'actuel Maroc. Malgré ses victoires, Uqba n'obtiendra pas la soumission générale des tribus berbères. Sur le chemin du retour Uqba et son armée tomberont dans une embuscade tendue par les Berbères et les Grecs menés par Koceila. Uqba et Abou Mahàgir périrent avec leur armée à Tahuda, dans la région de Sidi Okba, (Biskra). Juste après la mort de Uqba, Koceila marchera sur Kairouan qu'il occupera. Il sera proclamé roi de l'ifriqiya de l'an 683 à 688. En l'an 688, le chef arabe Zahayr Ibn Qays-al-Balawi, qui s'est réfugié à Barqa, en Libye, reçoit des renforts d'Egypte. Il livra bataille à Koceila et le tua, entraînant la dispersion des Berbères Awraba. On raconte que Koceila n'avait bénéficié ni du soutien des tribus Butr des Aurès, ni de l'aide des Berbères du Sud, ni de l'appui des Byzantins. La victoire de Zahayr Ibn Qays-al-Balawi sera éphémère. Ce dernier quitta Kairaouan avec ses principaux guerriers. Il périt avec toute son escorte au cours d'une attaque grecque à Barqa en l'an 690. A l'époque, le calife Omeyyade à Damas ne pouvait pas agir au Maghreb. Il était occupé à lutter contre les Kharédjites et les Ch'ites. Ce n'est qu'en 695 que Hassan Ibn Nu'man mènera une nouvelle expédition en Ifriquia. Il récupéra Kairouan. Mais se heurta à une forte résistance de la Kahina dans les Aurès. A la tête d'une armée composée des tribus berbères des Aurès et de la Numidie, la Kahina réussie à défaire les troupes de Hassen Ibn Nu'man. La Kahina maintien son autorité pendant plus de cinq ans en menant une stratégie de la terre brulée, selon les témoignages de certains chroniqueurs de l'époque. Chose qui va déplaire à certaines tribus berbères. Cette région souffrait d'abord en tant que théâtre des principales opérations de la conquête arabe, puis fut pillée par les tribus berbères qui profitaient de la victoire de la Kahina sur les Arabes. Ces pillages ont mécontentés les sédentaires. Chose qui a permis à Hassan d'être bien accueilli par la suite au Maghreb et d'enlever ensuite Carthage aux Byzantins. Après 70 ans de batailles, la conquête de l'ifriqia et du Zab (Tunisie et tout l'Est algérien) venait d'aboutir. En l'an 704, Moussa Ibn Noçaïr remplaça Hassen et reçu le gouvernement d'une Ifriquia indépendante de l'Egypte. Moussa mena des expéditions vers l'Ouest, jusqu'à Tanger. Le rappel de ces faits historiques nous renseignent sur le grand rôle joué par la Tunisie et surtout les Aurès, la région de Sétif, Tihert et jusqu'à Tlemcen, dans la conquête arabe du Maghreb. Comme on pourrait le constater, les tribus marocaines étaient complètement absentes des évènements historiques qui ont marqués le Maghreb de l'an 647 à 704. Pour preuve, la première mosquée au Maroc, n'a été construite qu'en 704. Alors qu'en Algérie, la première mosquée a été construire bien avant, à Mila, en 675. Chose importante quand on sait que la mosquée à l'époque n'était pas seulement un lieu de prières mais aussi un lieu du savoir, de réunion et de préparations des conquêtes armées. Comme cité par Ibn Khaldoun les régions de Annaba, Constantine et y compris Mila était une terre où vivaient les Oulhaça, tribu d'où est originaire Tarek Ibn Zyad. Cette tribu se déplacera très tôt vers l'Ouest de l'Algérie. Plus précisément dans la région de Rachgoune, prés de l'embouchure d'Oued Tafna. Les Oulhaça faisaient-ils partie des troupes qui ont menés la conquête musulmane vers l'extrême-Ouest du Maghreb ? Tout porte à le croire si on suit certains témoignages, y compris celui du grand savant Ibn Khaldoun dans son livre « Kitâb El-Ansâb ». Ce dernier affirme que les Oulhaça étaient voisins de la Tribu des Kumiya, dans la région de Honaine, distante d'une quarantaine de kms de la Tafna. En 1147, les Oulhaça soutiennent Abdelmoumene ben Ali, qui devient premier calife de la dynastie des Almohades et c'est lui qui chassa les Almoravides de Marrakech. Abdelmoumene ben Ali est né à Tajra, pas très loin de Honaine. Le Makhzen est capable de dire un jour que Abdelmoumene ben Ali est lui aussi né au Maroc ! La tribu des Oulhaça sera de tous les combats de l'époque. Elle participe à la lutte contre les Espagnols, quand ils occupèrent Oran en 1508 et Honaine en 1531. Ils se rallièrent aussi à l'Emir Abdelkader quand celui-ci organisa la résistance contre l'occupation française. Elle fera partie des tribus qui vainquirent, sous le commandement de l'Emir Abdelkader, l'armée coloniale française dans la région d'El Macta, située entre Oran et Mostaganem, le 28 juin 1835. Le 30 mai 1837, le Traité de la Tafna entre l'Emir Abdelkader et le général Bugeaud est signé dans le territoire de la tribu des Oulhaça. Dans ce Traité, la France coloniale reconnait la souveraineté de l'Emir Abdelkader sur les provinces d'Oran, de Tlemcen, d'Alger, de Médéa et de Koléa. Ce rappel historique nous renseigne sur l'engagement de la tribu des Oulhaça, dont les descendants vivent jusqu'au jour d'aujourd'hui dans la région de Rachgoune (Béni-Saf) , dans la défense de l'Islam et la lutte contre les envahisseurs chrétiens. En 711, Tarik Ibn Zyad a préparé l'expédition pour la conquête de l'Espagne à Tlemcen. Un lieu situé à une cinquantaine de km de la région des Oulhaça. Dans le cas où Tarik Ibn Zyad était un chef berbère né au Maroc actuel, il aurait été plus judicieux pour lui de préparer sa conquête dans la région de sa tribu. Mais Tarik Ibn Zyad a choisi Tlemcen pour se préparer parce que le gros de ses troupes venait d'Algérie et non pas du Maroc. La même année et une fois l'armée de Tarik Ibn Zyad arrive à Tanger, Moussa Ibn Noçaïr remplace son fils Marwan, gouverneur de Tanger, par Tarik Ibn Zyad. Il est clair que Moussa Ibn Noçaïr avait une confiance totale en Tarik Ibn Zyad pour le chargé de mener la conquête de l'Espagne à la place de son fils. Et une confiance pareille ne peut se gagner qu'avec le temps. Il n'est pas à écarter que Tarik Ibn Zyad faisait déjà partie de l'armée de Moussa Ibn Noçaïr quand ce dernier a marché vers l'extrême-Ouest du Maghreb pour conquérir le Maroc en l'an 704. Il est utile de rappeler que l'année 669 a vu les premiers Berbères convertis à l'Islam faire partie de l'armée arabe. Bien avant que les tribus marocaines ne fassent allégeance à Moussa Ibn Noçaïr. Le choix de ce dernier était dicté à l'époque par la forte présence des Berbères au sein de l'armée qui devait conquérir l'Espagne. Les historiens les ont évalués à 12.000 hommes. Pour certains Marocains, le feuilleton sur feth El-Andalous et Tarik Ibn Zyad contient « plusieurs inexactitudes historiques qui, si elle continue à être diffusée, troubleront l'identité émotionnelles formées par les citoyens marocains sur leur histoire, leur identité et la géographie de leur pays ». On est en plein délire en lisant ce passage diffusé par la presse marocaine. Mais où a-t-on trouvé aussi facilement ces certitudes historiques sur Tarik Ibn Zyad au Maroc ? On est dans l'arroseur arrosé. Le Makhzen voulait faire de la récupération politique en achetant à un prix fort ce feuilleton syro-koweitien. Mais contre toute attente, c'est le doute sur l'identité et la géographie du Maroc qui s'est installé suite à sa diffusion.