Les familles des disparus se sont rassemblées hier devant le siège de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l'Homme (CNCPPDH), un lieu de symbolique pour réclamer « vérité et justice ». Elles étaient une cinquantaine de personnes hier devant le siège de la Commission que préside Maître Ksentini, à la place Addis Abeba d'Alger, juste au-dessus du palais du Peuple. Comme d'habitude, il y avait bien plus de femmes que d'hommes. « Vérité et justice » sont les deux mots clés inscrits sur une large et longue pancarte qui cachait presque les têtes des manifestants. Plusieurs d'entre eux brandissaient des portraits de leurs proches disparus durant les années 90. Rien n'a donc changé. Le mercredi de chaque semaine a été, pendant plus d'une douzaine d'années, une journée que ces familles malheureuses ont consacrée comme journée de revendication de la vérité et de la justice pour que leurs proches enlevés puissent reposer enfin en paix. Et pour qu'elles-mêmes fassent leur deuil. Rien ne semble avoir ébranlé la volonté de ces familles de continuer à rechercher une vérité que l'Etat semble avoir de grandes difficultés à établir. Rien n'a changé sauf qu'il y a longtemps que ces familles-là n'ont pas tenu leur rassemblement à cet endroit. Il leur a été interdit à coups de matraque et d'insultes, il y a près de deux ans. Leur dernier sit-in devant le siège de la CNCPPDH remonte à août 2010. C'était le 11août exactement, quand les familles voulaient se regrouper comme à leur habitude à cet endroit de la capitale mais une violente répression s'est abattue sur elles. La cause de cette interdiction avec des moyens policiers musclés de leur rassemblement, avions-nous appris à cet époque, quatre femmes étrangères les avaient soutenues deux ou trois mercredis auparavant, par une présence physique. « Il est interdit de faire participer en Algérie, des étrangers dans des sit-in, » a grogné un commissaire ce jour-là. « Aucune loi n'interdit une telle participation, » ont répondu les familles des disparus. Les associations des familles des disparus avaient tenté, encore une fois, de braver la violence mais elle était plus forte que leurs slogans. C'était le 18 août 2010, c'est-à-dire le mercredi d'après celui où elles avaient été matraquées pour la première fois. Le 30 août, elles avaient changé de place pour se regrouper tout près de la Grande Poste et aussi du siège de SOS disparu(e)s. Elles s'étaient rassemblées ce jour-là pour célébrer la Journée internationale des droits de l'Homme. Mais là aussi les dispositifs de la répression étaient au rendez-vous. « Nous avons ramené des femmes policières pour qu'elles puissent s'occuper des femmes, » nous avait déclaré un policier en civil avec une pointe de fierté. L'appareil répressif avait donc changé de mains pour passer dans des mains féminines. Le pouvoir a bien voulu être pudique. Hier, les familles des disparus voulaient marcher vers la présidence de la République mais un nombre important de policiers les avaient bloquées à la place Addis Abeba. « Nous demandons la vérité et la justice pour nos enfants,» nous a déclaré hier, Mme Yous, présidente de « SOS familles de disparu(e)s ». « Ils sont morts mais qu'ils nous donnent les os, l'Etat a les moyens de savoir qui est qui, il a des laboratoires et des techniques pour le savoir, qu'on nous laisse faire notre deuil, » a-t-elle souligné. Elle note à l'intention des décideurs « si vous ne connaissez pas les charniers, on vous les montre. » Mme Yous demande au nom de toutes les familles concernées que «l'Etat s'acquitte de son devoir de vérité et de justice. » Elle rappelle certes qu'il y a des familles qui ont accepté des indemnisations financières mais, a-t-elle lancé « elles ont toujours et encore le droit de réclamer la vérité, l'argent qu'elles ont reçu sert à la scolarité et la couverture des besoins des enfants de leurs proches disparus. » Les familles ont remarqué hier que les policiers qui avaient encadré leur rassemblement n'avaient pas recouru à la violence. Ils étaient d'un calme olympien. « Les policiers étaient gentils avec nous pas comme avant quand ils nous frappaient et nous insultaient. Ils m'ont cassé le bras deux fois, » se rappelle Mme Yous avec amertume. Les manifestants se sont dispersés dans le calme sans pour autant chercher à voir M. Ksentini. « Nous avons fini avec lui, on ne le croit plus, il nous a menti, pour nous, ce n'est pas un homme de droit et de loi ! a affirmé Mme Yous. Maître Mustapha-Farouk Ksentini s'en défend et déclare, haut et fort, « je n'y suis pour rien, j'ai fait ce que j'ai pu dans les limites de mes prérogatives, je préside une commission qui n'est que consultative, je comprends parfaitement le désarroi de ces familles mais je n'ai rien en mes possibilités qui puisse leur régler leur problème, » nous a-t-il dit hier au téléphone. Maître Ksentini reconnaît que «les choses ne bougent pas. Je ne pouvais plus continuer à leur faire des promesses que je ne pouvais tenir. C'est à cause de ça qu'il y a eu la rupture entre nous.» Existe-il des solutions ? lui avions nous demandé. «Quand on est de bonne foi, tout est possible, il faut dialoguer, » nous a-t-il répondu. « Les responsables doivent prendre leur responsabilité, » recommande-t-il. Il nous affirmera au passage que « les policiers ont reçu des consignes formelles pour ne recourir à aucune brutalité à l'égard de ces familles. » Consignes qui pourraient avoir été données depuis que l'état d'urgence a été levé. Mais elles pourraient l'être aussi parce que le pouvoir est en pleine campagne électorale en prévision des législatives du 10 mai prochain.