Dans ce long chemin que l'économie algérienne doit parcourir pour que ses ressources à la fois humaines et naturelles soient exploitées au mieux de leur potentiel, c'est le premier pas qui compte. Eviter le recours infantile à la théorie de la conspiration malveillante pour expliquer la volonté politique de mettre fin aux dérives prédatrices. Il semble bien qu'il vient d'être franchi, et qu'enfin le cap vers la libération de ce potentiel est à portée des espoirs. Il ne faudrait pas, cependant, que les réactions de ceux dont les intérêts seront sans doute touchés, et qui commencent déjà à hausser du ton, en toute attente, fassent dériver ce sursaut vers l'anecdotique, et l'emballement de la chronique judiciaire. Le risque de voir cette volonté affichée par les autorités publiques de prendre enfin les mesures nécessaires pour faire sortir l'économie de la déroute intérieure et de la dépendance extérieure, présentée et interprétée faussement comme une énième opération «mains propres,» est d'autant plus grand, que certains qui se sentent visés y poussent par medias interposés, car ils disposent des appuis nécessaires pour échapper à la tourmente juridico-administrative que ce type de démarche engendrerait. On a constaté, ces derniers temps, des réactions, largement couvertes par les médias, preuve que ce type de dérives manipulatrices, qui n'est ni une option, ni une fatalité, n'est pas une simple vue «d'esprits aussi imaginatifs que malveillants,» qui voudraient faire croire que ceux dont les intérêts sont visés à juste titre ont décidé, pour se défendre, d'accréditer l'idée que, derrière les décisions des autorités publiques il existerait «des velléités malfaisantes et des mains secrètes.» Une campagne féroce pour délégitimer les décisions des autorités publiques. La théorie de la conspiration que certains agitent pour expliquer les décisions annoncées ou impliquées est destinée à délégitimer, dans l'esprit de l'opinion publique algérienne en alerte, la ferme volonté des gouvernants du pays de corriger les dérives d'une politique économique qui a, certes, assuré la stabilité et la sécurité du pays dans une période de grande tourmente dans la région, mais qui, néanmoins, a abouti à livrer les ressources financières du pays à la prédation, sous le double couvert de la privatisation et de la mondialisation. Certes, la période de relative aisance financière, sous la forme de rente, et conséquence de l'envol, maintenant calmé, des prix des hydrocarbures sur les marchés internationaux, a accru la marge de manœuvre des autorités publiques en matière de dépenses tant dans les domaines socio-éducatifs que dans le domaine des infrastructures de base, et a donc facilité la mise à niveau du pays dans ces domaines. Mais, l'appel massif à l'expertise et à la main d'œuvre étrangère pour la réalisation de cet immense programme, désigné sous le nom de «programme présidentiel,» l'orgie d'importations des biens et services demandées par une population dont le niveau de revenu s'est nettement amélioré, ont conduit non seulement à des distorsions dans la structure productive du pays, mais également à une dérive prédatrice de la part d'une nouvelle classe partie du néant, et qui est parvenu à influencer, à son profit, la distribution de la rente pétrolière par l'Etat. La sous-traitance étrangère des marchés publics, mamelle des prédateurs. A l'importation tous azimut s'est ajoutée la sous-traitance, grâce à laquelle des prédateurs ont acquis des fortunes colossales en se faisant attribuer des projets publics immenses dans des domaines techniques éloignés de leurs faibles expertises, projets dont ils ont confié la réalisation à des entreprises étrangères, accumulant ainsi à la fois les dinars et les devises. La contraction des ressources financières en provenance des hydrocarbures a mis à nu , de manière dramatique, ces distorsions. Leur correction ne demande pas seulement une remise à plat des mécanismes de dépenses publiques, ou des politiques d'importations. Elle pose toute la problématique de la politique économique suivie jusqu'à présent , et dans tous ses aspects. Tenter de réduire cette remise en cause de choix économiques et sociaux à une simple série de faits divers, ou à un problème de bon fonctionnement de l'appareil judiciaire, ne peut être que source de désarroi et de désespoir. Clarifier la démarche des autorités publiques en s'attaquant de manière frontale aux distorsions créées par une politique économique incohérente. L'opinion publique, qui sent que plane une menace sur les acquis sociaux et la structure de la consommation de la période des vaches grasses, a besoin de voir clair dans la démarche des autorités publiques, et à y percevoir une volonté et une fermeté à la hauteur des défis du moment. Jeter le trouble, par l'improvisation parcellisée, même animée de bonne volonté, dans les esprits, en cette phase qu'on pourrait qualifier de décisive sans exagération aucune, tellement les enjeux pour la nation toute entière sont graves, n'est pas la bonne démarche. Les gens ont simplement besoin d'être rassurés sur le fait que la démarche actuelle part dune vision globale et est sous-tendue par une ferme volonté de soulever et de régler les vrais problèmes économiques du pays, et non à s'attaquer, de manière plus ou moins subjective, aux intérêts personnels de tel ou tel prédateur qui , jusqu'à présent, faisait la loi et manipulait, à son profit, tel ou tel aspect des domaines d'intervention de l'Etat. Une hirondelle ne fait pas le printemps et ne sont pas suffisants les coups de frein aux importations sauvages, à la fois nuisibles et inutiles, tout comme les mises en garde contre tel ou tel opérateur privé, champion de la sous-traitance étrangère des marchés publics, qui n'est rien d'autre que de l'importation déguisée, certes de main d'œuvre et d'expertise étrangère, opérateur paradoxalement proche tant des milieux détenteurs des pouvoirs politiques que des syndicats officiels. Le temps des corrections «en marge de la page,» est fini. On doit s'attaquer au contenu de la copie même. Encore faut-il percevoir, derrière ces mesures, aussi pertinentes soient-elles, une démarche globale, coordonnée, visant à remettre à niveau le potentiel productif du pays, et à souffler un nouvel esprit dans les mentalités des opérateurs économiques, quels que soient leurs statuts et leurs activités. Il ne faut pas qu'une fois que l'effet d'annonce a produit les réactions attendues de la population, on retombe dans le bricolage et les décisions au coup par coup qui ont fréquemment caractérisé les velléités de réforme lors des crises passées. Le temps des corrections «en marge de la page,» est fini. On doit s'attaquer au contenu de la copie même. Démarginaliser et briser le splendide isolement de l'Enseignement Supérieur. Cette démarche globale implique la remise en cause de nombre de politiques, y compris dans les domaines de l'enseignement supérieur, qui a connu, au cours de ces quelques vingt dernières années, une remarquable, si ce n'est une formidable évolution quantitative et qualitative , mais en marge des attentes, si ce n'est extravertie et évoluant hors de la vie nationale. A quoi rime cette obsession du classement international si on n'a qu'un impact marginal dans le pays? Certains considéreront ce jugement quelque peu exagéré. Une question très simple: pourquoi continue-t-on à faire appel à l'expertise internationale pour le moindre des problèmes exigeant un minimum de maitrise technologique? Est- ce dû à une politique délibérée des autorités publiques ou à des faiblesses inhérentes au système universitaire, malgré les milliers de doctorats en tous domaines délivrées au fil des années? Est-ce la conséquence de simples calculs de coût/bénéfices de la part des entrepreneurs privés qui préfèrent importer plutôt que recourir au potentiel d'innovation existant dans le système universitaire? A quoi servent, au fait, les Universités? A produire des diplômés? Ou à fournir des expertises nationales capables de relever le défi de l'accélération des découvertes technologiques? La réforme de 1971, si lointaine qu'elle apparaisse a donné des réponses claires et nettes à ces questions, réponses qui, restent, quelques quarante six années plus tard, toujours d'actualité et ses lignes directrices doivent être rappelées, car elles fournissent la référence indispensable pour placer le système universitaire au centre du développement du pays. Il faut en finir avec l'obsession du classement mondial des universités algériennes. Ce qui compte, c'est le classement international de l'Algérie - et nos exportations hors hydrocarbures sont là pour prouver que notre pays est loin du compte- , et non le classement international des universités algériennes, transformé en critère unique et obsessif de qualité et de progrès! Ne plus subordonner la politique économique nationale à la stratégie de politique étrangère. De même, la subordination de la politique économique à la politique étrangère doit être nuancée, si ce n'est révisée en fonction des rapports de forces actuels et de l'ordre mondial en cours de mise en place. L'accord d'association signée avec l'Union européenne est loin d'être à l'avantage de l'économie algérienne. L'accord, ce co-pillage copié sur un document cadre rédigé unilatéralement par les bureaucrates de Bruxelles, est disproportionnellement désavantageux pour l'Algérie. Ce n'est pas un accord d'association, car l'association suppose un minimum d'égalité entre les partenaires, un poids économique équivalent ou du moins complémentaire, ce qui n'est nullement le cas pour cet accord. La lecture de la balance commerciale entre les «associés,» est là pour prouver qu'on se trouve dans un état d'inégalité totale où un des partenaires jouit du plein accès d'une multitude de ses produits manufacturiers sur le territoire de l'autre, qui, lui, n'y exporte qu'un seul produit ou ses dérivés. Cet accord était supposé aboutir à la diversifications de la production et des exportations algériennes vers le vaste marché européen. Ce ne fut pas le cas, et les maigres aides à cette diversification procurées par le partenaire européen, n'ont pas donné les résultats escomptés, et ce n'est pas le rejet du blâme de cet échec sur l'un ou l'autre qui va faire disparaitre les distorsions dans cet habillage politico-juridique qui n'a aucune ressemblance avec une vraie association. Les investissements productifs directs du partenaire, promis comme conséquences de ce accord n'ont pas eu lieu. Quel est l'idiot qui prendrait la peine d'installer des usines fabricant des produits qu'il peut introduire dans ce pays par des opérations commerciales à la fois plus simples, plus faciles et plus rapides que l'implantation d'un usine sur place? Et que l'on n'invoque pas les faux prétextes de la règle du 49/51 ou de la lourde bureaucratie. Le même raisonnement est valide pour l'accord d'adhésion à l'OMC. On a ouvert le secteur des services aux entreprises étrangères: Au nom de quelle réciprocité? L'Algérie possède-t-elle une expertise bancaire ou dans le domaine des assurances lui permettant de s'implanter massivement à l'étranger pour faire équilibre aux implantations de grosses banques et sociétés d'assurance multilatérale dans le pays? Dispose-t-elle du potentiel de production lui assurant l'ouverture des marchés étrangers à son surplus de production? Doit-on posséder une connaissance détaillée de l'économie algérienne pour répondre à ces deux questions? Purger le système monétaire pour casser l'inflation, arrêter la chute de la valeur du dinar, et maitriser le circuit des liquidités. Il reste également à mettre de l'ordre dans le système monétaire algérien, qui, visiblement, est en pleine anarchie. Les trois preuves en sont , non seulement une inflation trois fois supérieure à la moyenne internationale, bien qu'elle ait eu tendance à se ralentir ces derniers temps, une détérioration sur le marché parallèle du taux de change du dinar par rapport aux devises les plus recherchées, dans lesquelles l'euro joue le premier rôle, mais, plus sérieux encore, et sans doute cause des deux premiers éléments, une masse de liquidités, électrons libres, qui circule hors des réseaux bancaires. Alors que la banque centrale a rouvert, après prés de quinze années d'absence, son guichet de réescompte pour alimenter les besoins de liquidité des banques, on se retrouve dans une situation paradoxale en surliquidité hors banque et en liquidité tendue dans le système des banques commerciales. Les deux solutions connues pour ce type de situation paradoxale et aux conséquences négatives déjà soulignées plus hauts, sont : soit une augmentations des intérêts fournis aux déposants , entrainant une augmentation parallèle des taux d'intérêts aux emprunteurs, soit une opération de retrait et de démonétisation des grosses coupures pour décourager la thésaurisation et encourager les transactions par l'intermédiation des banques primaires. Or, il apparait que ni l'une, ni l'autre de ces actions ne sont, du moins à ce qu'il apparait, actuellement envisagées. Envisager la nationalisation des entreprises prédatrices et détentrices de quasi-monopoles sur des secteurs sensibles de l'économie nationale. Reste à s'attaquer aux grosses fortunes et aux situations de quasi monopole que certains «groupes privés» dont le poids est plus une conséquence de pratiques prédatrices que d'innovation ou de savoir faire spécifique, détiennent dans des secteurs clefs de l'économie. Faut-il en exiger le démantèlement et/ou l'inscription en bourse pour celles dont la capitalisation atteint un niveau palpable, afin de les forcer à la transparence? Faut-il prévoir contre elles des prélèvements fiscaux extraordinaires pour compenser l'état des subventions de tous types , directes et indirectes, dont elles ont tiré avantages pour se construire? Faut-il même envisager, dans certains cas, des nationalisations sans indemnisations pour celles qui ont abusé des avantages de l'ouverture économique du pays, au point où elles ont pu investir des sommes colossales à l'étranger, en biens de production comme en comptes en banques ou en immeubles et autres possessions luxueuses? En conclusion Les autorités publiques commencent enfin à prendre les mesures nécessaires pour s'attaquer aux dérives créées par une ouverture sauvage de l'économie nationale, et aux prédateurs qui ont en tiré le plus de profit. Il va de soi que ces prédateurs ne vont pas se laisser et qu'ils tenteront de délégitimer cette volonté des autorités publiques de remettre de l'ordre dans l'économie, en la présentant comme motivée par des considérations subjectives malveillantes. Cette tentative est déjà en marche, comme le prouve une campagne médiatique en cours par un champion de «la sous-traitance,» des marchés publics aux entreprises étrangères. De plus, les autorités publiques doivent inscrire leur action dans une perspectives globale qui s'attaque également aux incohérences de sa politique économique, évidentes tant dans le système universitaire, que dans sa ligne politique étrangère et sa politique monétaire. Il faudrait également que ces autorités n'hésitent pas, s'il le faut, à nationaliser les fortunes mal acquises par les prédateurs pour casser le quasi monopole qu'elles ont acquis dans certains secteurs clef de l'économie. La situation économique du pays est extrêmement grave; les ennemis de cette démarche ne jetteront pas facilement les armes. Les autorités, pour réussir dans cette œuvre de redressement si vital, doivent avoir la détermination et la clarté de vision qui permettra la victoire des intérêts nationaux contre les égoïsmes des prédateurs, menace sécuritaire autant que politique et économique pour la stabilité du pays. L'Algérie ne sera plus alors ce royaume des dupes, où régneraient des bavards, et où les prédateurs imposeraient leurs loi!