C'est la fin de cet acte tridimensionnel. Mais qui peut savoir ce qui nous attend demain? Le théâtre en langue arabe s'est invité à l'Opéra de Lyon. Un franc succès. Quel dynamisme et que de salves d'applaudissements! Qui a dit que la langue était un frein ou un obstacle à la compréhension de l'autre? Que non, certainement pas pour l'art! Deux exemples bien édifiants nous ont bien démontré le contraire, la semaine dernière, à l'Opéra de Lyon où se déroulait durant une semaine, l'événement Noir sur Blanc dans son troisième acte et où s'achevait en beauté cette action culturelle menée depuis cinq ans entre Sétif, Lyon et Alger. Un programme artistique qui se veut durable qu'ont initié les trois associations-compagnies, Chrysalide, Gertrude II, et Les Compagnons de Nedjma, qui se sont démenées comme des fous pour la réussite de ce processus qui a fait foule tous les soirs... Le théâtre lui, pouls de la société et de l'être humain, a soulevé maints questionnements. Le public friand de connaissances, curieux, ne cessait de poser des questions:Y a t-il encore des censures en Algérie? Combien de théâtres existe-il en Algérie?...Tout s'est «joué» ou presque dans ce petit carreau de plateau en cercle que possède l'amphi, situé au sous -sol (à -2 étages) de l'Opéra tout noir vêtu de marbre luisant...Eraoui, une des chansons phares de Souad Massi, est le prélude au monologue de Toufik Mezaâche, La récréation d'un fou. Un théâtre populaire dont l'auteur se réclame et prône les fondements élémentaires, à savoir de l'humour, du mimique, de la gestuelle et des phrases aux relents symboliques qui trouvent écho chez le public, touchent et émeuvent. Et c'était vraiment le cas. «Pour qui vous prenez-vous?...Ne vous trompez pas, ne fuyez pas. Le rat débute par de petits dégâts et finit par inoculer la peste. Et la peste n'engendre que ce qu'engendrent les guerres....» Le comédien interpelle les consciences, crie, se lamente, parle à sa fille déjà malade, fragile à l'image d'une Nouara de Medjoubi, la prévient contre les dégâts des rats et par extension apostrophe le monde contre le funeste rat, même parfois résiduel qui, avant, se terrait dans la nuit et aujourd'hui agit en toute impunité le jour... Ecoutez Mezaâche, le sage fou, il a raison!...Tonnerre d'applaudissements! C'était le 16 mai dernier.Le public n'a pas le temps de se reprendre de ses émotions qu'on lui assène de nouveau des vérités philosophiques, existentialistes dites de façon poétique, à ne laisser personne indifférent malgré les quelques décalages entre le surtitre placé en haut de l'écran et le jeu des comédiens, parfois tiré en longueur mais vite rattrapé par la pertinence du texte déroulé. Entre le ça et le moi, l'Errant puisque c'est le nom de la pièce, évoque le trouble intérieur de chaque être ballotté entre l'envie d'aller de l'avant, suivre l'air du temps, le chemin du vent ou têtu, la peur au ventre, désarmante qui le mure vers le sol, immuable. L'âme et la mer en mouvement le fondent dans le doute. «Le voyage auquel nous sommes conviés, l'instant d'une vie, pose la lancinante question de la mort et de l'éternité. L'homme face à ce destin tragique, parfois se résigne et parfois, s'insurge...Une quête sociale alors commence» explique l'auteur de la pièce, Abdelatif Bounab. Dans un autre registre plutôt expérimental, à mi-chemin entre le savant et le populaire, et décliné en grande partie en langue française, s'est jouée, les mercredi et jeudi, les 17 et 18 mai derniers, la pièce Rêve et Vol d'oiseau produite par la troupe amateur de l'association Chrysalide. Un miroir sur l'autisme humain et l'incommunicabilité des êtres, a fortiori d'un couple muré dans le silence et l'automatisme des gestes quotidiens, surpris dans son absurde monotonie par l'intrusion de trois individus, obsédés par la vue d'un coffre...Fragilité et imprévisibilité battues en brèche..de «l'étrangeté» chère à Djalila Kadi-Hanifi, dont la mise en scène a mis l'accent aussi sur ce mot pour signifier cette action culturelle générique baptisée La Nuit éclaire le jour. Du paradoxe qui peut enfanter le meilleur de chacun d'entre nous. Un moment de partage, une passerelle d'amitié artistique, pour un idéal de création, de recherche et de réflexion en toute liberté sur ce que sera cette coopération in situ d'aujourd'hui et de demain. Et pourquoi pas? C'est peut-être de cette petite étincelle surgissant timidement de la nuit que sera éclairée la suite de nos jours. Le tout en restant fidèles à nos principes, ceux sortis des sentiers battus et des carcans officiels - finalement le souci partagé par tous y compris des Lyonnais - le clou de la soirée du 18 mai a été aussi la découverte de deux expo-installations d'arts plastiques. L'une de Arezki Larbi, plaçant le mot au coeur de sa quête et l'autre, le signe pour faire éclore de l'amour et de l'abstrait mûrement réfléchi, pour dire que l'aventure continue...En effet, du 13 au 18 mai, l'Opéra de Lyon a accueilli près de 60 intervenants entre artistes et acteurs de la société civile (vingt de Sétif, vingt d'Alger, vingt de Lyon et d'ailleurs) qui se sont donné, se sont mélangés pour repartir avec plein de bons souvenirs, de la fatigue, certes, mais l'envie de repartir de plus belle quand même. Théâtre, slam, hip-hop, cinéma, arts plastiques, tables rondes, lectures publiques, éditions, c'est ce que le public cosmopolite lyonnais a pu apprécier durant une semaine. La qaâda qui a clôturé avec, en sus, thé et friandises, dans l'intimité de cet événement culturel s'est voulue être placée avant tout dans cette optique d'idées, de rencontres, d'échanges et de simplicité, mais d'audace aussi quitte à ne pas se méprendre et se pervertir...et rester soi-même. Oui! Tel est le mot d'ordre crié haut et fort par ce Chrysalidien qui sait de quoi il parle. Dure gageure à tenir en effet, lorsqu'on veut s'affirmer et briller même tout petit. Et pourtant, n'est-ce pas là l'essence même des marginaux qui deviendront un jour des grands? Lyon la ville de la soie, la mystérieuse gothique, florentine a ainsi abrité une parenthèse d'activités culturelles, certes, mais des talents et des initiatives, qui eux ne sont prêts à s'arrêter là...