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« Les fondateurs de la vallée avaient érigé des systèmes ingénieux pour dompter les crues »
Zoheir Balalou. Directeur de l'Office de protection de la vallée du M'zab
Publié dans El Watan le 27 - 10 - 2008

Zoheïr Balalou, directeur de l'Office de protection et de promotion de la vallée du M'zab, a déclaré que les bâtisseurs de cette cité inondable avaient érigé des ouvrages exceptionnels permettant de dompter les crues pour capter l'eau, la gérer et la distribuer d'une manière équitable et rationnelle.
Vous avez dit que les premiers bâtisseurs avaient érigé des systèmes pour faire face aux crues. Comment se fait-il que les pluies ont causé autant de dégâts ?
La crue est passée au seuil des ksour. C'est une preuve que les fondateurs de la vallée ont bien réfléchi avant de construire. C'est l'urbanisation qui a démarré dès 1887, lorsque l'administration coloniale a créé le centre de Ghardaïa, devenu capitale du M'zab. Toutes les villes convergent vers ce centre et les quartiers se sont développés pour laisser apparaître une nouvelle ville en contrebas de la vallée. Elle a connu un développement important après l'indépendance. Mais tous les plans d'urbanisation ont pris en compte le fait de ne pas construire sur l'oued et ses berges. Il faut reconnaître que cette crue est exceptionnelle. Nous savons qu'il existe des crues cinquantenaires, bicentenaires et millénaires. Tous les experts affirment que les dernières pluies de ce type ont eu lieu en 1901. D'autres, de moindre importance, en 1991. Cependant, il y a des points noirs, comme le quartier de Baba Saâd, se trouvant sur le chemin des eaux, qui ont été pratiquement engloutis. C'est un goulot d'étranglement qui a empêché l'eau de circuler à cause des obstacles, les véhicules, pour ne citer que ceux-là. Nous savons tous que la vallée est inondable, mais cette fois-ci, le débit d'eau a surpris tout le monde.
Peut-on comprendre que les bâtisseurs n'ont pas pensé à une telle quantité d'eau ?
Ce n'est pas le cas. Eux, ils ont construit de manière à ce que, quelle que soit la quantité d'eau qui s'abat sur la vallée, elle ne les touche pas. D'abord, ils ont construit des ksour sur les collines rocheuses, de manière à ce que l'eau ne puisse pas les atteindre. Les ksour se développaient et le partage de l'eau évoluait après chaque crue. A la fin du XVIIe siècle, ce processus a été stoppé. Après la construction des derniers ksour, Berriane et Guerrara, la population est revenue dans la vallée, au lieu d'en construire d'autres ailleurs. Les maisons érigées au niveau de la palmeraie, qui étaient destinées uniquement aux vacances d'été, pour leur fraîcheur, se sont transformées en habitation pour toute l'année. Les lits, placards, bancs et autres, construits en dur par nos ancêtres pour ne pas les perdre en période de crue, ont disparu pour laisser place à un mobilier moderne. Les issues de secours prévues par les bâtisseurs sur les côtés et la terrasse, dans le cas où l'eau surprendrait les locataires, ont aussi disparu ou été condamnées. Lors des inondations, des personnes voulant fuir en se réfugiant sur la terrasse, se sont retrouvées piégées, parce que l'accès était fermé avec des cadenas qu'elles ont perdus. Au fil des années, le lit de l'oued qui était la colonne vertébrale de la vallée s'est transformé en décharge. La responsabilité incombe à tout le monde. Nous en avons payé le prix. La population a oublié les mesures de précaution instaurées par nos ancêtres pour faire face aux crues. Nous, nous nous sommes sédentarisés en pensant que la nature n'allait pas se réveiller. Mais son réveil nous a surpris dans notre sommeil.
Ce qui veut dire que même le système d'alerte n'a pas été déclenché... -Pas du tout. Fort heureusement, dans de nombreuses régions, ce système a fonctionné. Moi-même j'ai entendu des coups de canon, de klaxon, des appels lancés sur les ondes de la radio locale. Ce qui a permis à beaucoup de s'éloigner de la palmeraie, sinon les pertes en vies humaines auraient été importantes. Les agents de la Protection civile étaient durant les nuits du 29 et 30 septembre sur les lieux, bien avant les crues du 1er octobre. Ces pluies étaient exceptionnelles. Le système hydraulique ingénieux de nos ancêtres a joué un rôle important, mais n'a pu contenir toute la quantité considérable d'eau. Il est conçu pour capter l'eau et lorsqu'il est dépassé par le débit, il se casse pour éviter que les quartiers ne soient inondés. Après chaque crue, il est revu et corrigé pour permettre aux habitants d'utiliser de façon rationnelle et équitable la ressource. Pendant la crue, c'est normal que la palmeraie se transforme en ville flottante, comme Venise, mais toute l'eau est par la suite captée, répartie puis stockée. L'entretien de ce système incombe à chaque membre de la communauté et la restauration des parties inondées est à la charge de l'Etat. Ce système, qui date de près de 1000 ans, est unique dans le monde. L'Etat a mis de l'argent pour construire des barrages en amont, sur la base d'études réalisées par des experts dont les références sont indiscutables. L'exemple le plus concret a été donné par le barrage de Labiodh qui a évité le pire en retenant 27 millions de mètres cubes d'eau.
Est-il vrai que le barrage de Laâdhira a cédé et lâché une grande quantité d'eau, ce qui a aggravé la catastrophe ?
Il y a trop de rumeurs depuis la catastrophe. Il y a même eu de fausses alertes à la crue qui ont provoqué la psychose chez les citoyens. Je pense qu'il faut laisser les spécialistes parler du sujet, à ce que je sache, il n'y a pas de barrage à Laâdhira, mais une petite retenue destinée à l'agriculture.
Aujourd'hui, comment voyez-vous la protection de la vallée ?
Pour permettre la survie de la vallée, il faut construire un nouveau pôle de décongestion. La texture de la vallée ne permet pas d'avoir les moyens d'un développement moderne. Elle étouffe. Il faut penser à la soulager. Etant donné qu'elle est soumise aux rudes inondations, il faut aller vers la construction de zones de crue, comme des stades ou terrains de golf. Un lifting des quartiers est nécessaire afin d'améliorer les conditions de vie tout en préservant le patrimoine et en l'améliorant. La réaction de la communauté face à cette catastrophe a été rapide et a permis, grâce aux efforts de la collectivité, de dégager plusieurs quartiers. La situation était très grave, parce qu'il fallait engager un plan Orsec dans chaque maison. Il faut reconnaître que la culture des crues, tout comme celle des séismes, doit être le débat d'aujourd'hui. Il faut mettre en place des instruments juridiques qui, faut-il le préciser, existent déjà, interdisant formellement la construction sur le lit ou les berges des oueds et avoir un système géographique lié au satellite qui permet de suivre l'évolution de la région, notamment lors des inondations. Il est également important de mettre en place un système permanent de préservation, de sauvegarde et de mise en valeur de la vallée. Il faut aussi que le projet de révision de la vallée prenne en compte le fameux projet de préservation.
Est-ce à ce titre qu'une mission d'experts a été dépêchée par le ministère de la Culture ?
Effectivement, les sites majeurs de la vallée, comme les ksour par exemple, n'ont pas été touchés par la catastrophe. Cette mission va évaluer les dégâts et faire un rapport qui sera repris dans celui dit périodique, pour le présenter à l'Unesco prochainement.


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